samedi 12 février 2011

Il cueille des gorilles



Ce « il » n’est pas moi, en fait, pas tout à fait. C’est celui d’un autre. C’est moi, mais à travers un autre. C’est un peu compliqué. Bref, dans ce rêve, « il » c’est moi, mais ce rêve ne m’appartient pas : c’est celui de mon frère. Il faut une fois de plus donner raison à Rimbaud : « Je est un autre », toujours. On verra plus loin que « il » aussi.

Haut perché dans un arbre, « il » cueille des bébés gorilles qu’il dépose ensuite dans un panier d’osier aussi large que profond. Sur l’Île, c’est le temps de la cueillette, il faut faire vite, car les prédateurs sont nombreux en cette période de l’année.

Ce sont de petites créatures vertes fort attendrissantes, toutes couvertes de poils, fermement accrochées à leur branche, si bien, qu’on a toutes les peines du monde à leur faire lâcher prise sans leur faire de mal, sans les blesser. Tous les bébés sont attifés d’un joli bonnet pointu aux couleurs chatoyantes qui les fait ressembler à des gnomes.

En bas, quelqu’un crie : « Prends garde de ne pas tomber, fais gaffe. » Lui, c’est mon frère. Il a toujours peur qu’il m’arrive quelque chose. C’est comme ça avec les grands frères : toujours aux trousses de leur petit frère. Pourtant, dans le rêve, c’est lui qui m’a incité à escalader l’arbre, c’est lui qui m’a tendu le panier. « Tu verras, m’a-t-il dit, c’est facile, tu n’as qu’à décrocher les doigts un à un. »

Le petit frère a obéi à son grand frère, comme toujours. Les petits frères, le fait est connu, manquent d’initiative; sans leur grand frère pour les guider dans la vie, ils n’entreprendraient jamais rien. Aussi, il ne faut jamais décevoir son grand frère, c’est une loi de la nature.

Le voici maintenant pris de vertige, mais il parvient tant bien que mal à surmonter son malaise. Il s’acharne. Il cueille les gorilles un à un, soulevant délicatement leurs petits doigts, les déposant ensuite précautionneusement au fond du panier.

« C’est toi le meilleur cueilleur de gorilles au monde », lui lance le grand frère, les mains en porte-voix. Mais trop tard, « il » va tomber, « il » tombe, « il » est tombé.

C’est l’hécatombe sur l’Île aux gorilles. Vingt petits cadavres verts jonchent le sol. Le petit frère, lui, s’en tire assez bien. Peut-être une légère entorse, au pire. Penché au-dessus du visage de son petit frère, tentant tant bien que mal de le rassurer, il réalise alors que le cueilleur de gorilles, « le meilleur au monde », ce n’était pas son petit frère, mais lui, le grand frère.

On reste toujours le petit frère de son grand frère, toute sa vie, même dans ses rêves.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire