dimanche 21 octobre 2012

Les beaux dimanches


L'immense ennui est un caleçon/ Pour éléphants
/Qui marchent pieds nus autour du soleil.

Francis Picabia

Ma mère, en 1958
Le dimanche, on allait à la messe en famille. On mettait nos habits du dimanche, nos souliers neufs. C’était toujours pareil, c’était toujours le même dimanche. Il me semble qu’il faisait toujours beau.
L’après-midi, on allait chez ma tante Annette. Au salon, les hommes parlaient de chasse, de pêche ou de politique. Dans la cuisine, ma tante s’entretenait de mode avec ma mère et mes sœurs. Mon frère et moi attendions impatiemment le moment où ma tante nous offrirait un verre de Cream soda, d’Orange Crush ou de 7 Up, des peanuts salées ou des caramels Kraft. C’était à mourir d’ennui, mais on ne le laissait jamais paraître. On disait merci et on attendait 4 heures, sans broncher. Même la chienne avait l’air de s’ennuyer.
L’été, on allait au chalet de ma grand-mère maternelle. On pourchassait les écureuils, on attrapait des grenouilles, on allait chercher de l’eau de source. On avait toujours peur de croiser un ours. Le chalet tombait en ruines.
Quand on restait à la maison, mon père faisait une sieste, ma mère préparait du sucre à la crème. Les après-midi s’éternisaient. Il ne se passait jamais rien. Le soir, en famille, on écoutait « Les beaux dimanches » ou « The Ed Sullivan Show » en bayant aux corneilles. On faisait semblant d’aimer ça, on faisait semblant de comprendre.
Les jours coulaient heureux, tranquilles, blancs. Et puis, un jour, nous n’avons plus été à la messe, nous ne nous sommes plus endimanchés. Mais je me souviens encore du tablier de ma mère, celui qu’elle ne portait que le dimanche.
À partir de quand, exactement, commence-t-on réellement à détester les dimanches?