dimanche 29 mai 2011

Ma mère le soleil

L'extase de saint François, vers 1595
Le Caravage (1571-1610)
Ma mère parle au soleil comme saint François d’Assise parlait à la lune, aux étoiles, aux oiseaux. Ma mère parle tout le temps, comme saint François d’Assise priait tout le temps : debout, assis, en marchant, en mangeant.

Ma mère dit : « Je déjeune avec mon ami le soleil. » Saint François d’Assise disait « mon frère le soleil », « ma sœur la lune », « mes sœurs les étoiles », « mes frères les oiseaux ».

Il y a de ces matins gris et pluvieux où j’aimerais toucher les stigmates de saint François d’Assise, les lui lécher, déjeuner avec ma mère.

Ma mère communie avec les oiseaux tous les matins, comme saint François d’Assise, en silence, partageant avec eux un peu de son pain.

Ma mère est folle du soleil, comme saint François d’Assise était fou de Dieu.

Ma mère le soleil, moi son fils, le nez toujours dans les étoiles.


vendredi 27 mai 2011

Ce petit je-ne-sais-quoi attendrissant des arbres

« La feuille de papier blanc, c’est ma pierre tombale. » Louis-Ferdinand Céline

L'au-delà, 1938
René Magritte (1898-1967)
D’où je suis, j’observe deux arbres. C’est drôle, mais c’est comme si je les voyais pour la dernière fois. Deux arbres qui probablement me survivront. Quelle image emporterai-je à l’heure de ma mort, la dernière, quoi, qui?

C’est que les grands arbres ont ce petit je-ne-sais-quoi attendrissant, peut-être parce qu’ils n’ont pas le choix de se trouver là où ils se trouvent, peut-être parce que, lorsqu’on meurt, on voudrait tellement pouvoir s’agripper à leurs branches. Les arbres ne nous rappellent-ils pas qu’il faut s’accrocher à la vie?

Ce n’est pas tant le soleil que nous regretterons alors, mais les arbres, le vent, l’herbe, les roses, les animaux, tout ce que notre main a pu saisir et tout ce à quoi elle pourrait encore s’accrocher, s’agripper, pour que la mort ne nous emporte pas.

Aussi, pour mieux affronter la mort, il nous faudrait des racines.

Quelle image emporterai-je avec mon dernier souffle? Une feuille de papier blanc, sans doute.

Professeur d'escargots

Door to the river, 1960
Willem de Kooning (1904-1997)
Léo tourne continuellement des phrases dans sa tête, des phrases absurdes, sans queue ni tête, des phrases qui ressemblent à de gros vers de terre, dont on ne sait si le verbe avance ou recule, des phrases ineptes, des inepties : « Le cordonnier vend des poules à mites à Naphtaline. »

Une poésie absconse, surréaliste, qui ravit le surveillant, un escargot à lunettes qui n’aime rien tant que de caresser les cheveux des grands petits garçons : « Le soleil soulève tous les lapins chaque nuit d’eau chaude. »

Professeur d’escargots, c’est ce que Léo fera plus tard, quand il sera grand, très grand. C’est ce qu’il tente désespérément de faire comprendre au surveillant, l’écume à la bouche, le crayon brandi comme une épée. Comme lui, un professeur d’escargots!

Ici, on ne mord pas les gens qu’on aime, on leur écrit des poèmes. Alors Léo dessine des phrases, qui n’avancent ni ne reculent, des phrases de tête avec beaucoup de jaune dedans. Des phrases comme des petites souris blanches qui chatouillent.

jeudi 26 mai 2011

Les émanations sonores du soleil

Hommage à Rosa Luxemburg, (détail) 1992
Jean-Paul Riopelle (1923-2002)
Les oiseaux nous rapprochent de la sainteté, non pas tant à cause de leurs ailes que de leur chant. On ne peut imaginer de paradis sans arbres, d’arbres sans oiseaux, d’oiseaux sans arbres. La Sainte Trinité dans toute sa gloire.

À chaque battement d’ailes, l’oiseau emporte avec lui une part de l’âme de sa forêt natale.

Cette folie de l’oiseau, son chant, qui nous fait croire que les arbres sont enchantés; cette folie des arbres que l’on appelle OISEAU.

Enfant, je croyais que les oiseaux venaient du soleil; aujourd’hui encore, je persiste à croire qu’ils sont les émanations sonores du soleil. DES DÉJECTIONS SOLAIRES.

Cette évidence : les oiseaux chantent, tout naturellement, comme les baleines. Aussi à l’aise sur le dos d’un rhinocéros d’Afrique que sur l’auréole d’un saint, toujours cette légèreté, la même luminescence. Cette envie de l’ailleurs, toujours.

Pas surprenant que l’on ait fait de la colombe l’emblème du Saint-Esprit : le même feu.

Je bois une girafe

Le bain de cristal, 1946
René Magritte (1898-1967)
J’ai déjà écrit quelque part, il y a longtemps : « Il me semble qu’une girafe qui déambulerait librement dans le salon me redonnerait goût à la vie. »

Ce matin, en ouvrant au hasard un livre sur Magritte, je tombe sur cette toile insolite : « Le bain de cristal ».

Je me retrouve plus tard rue Sainte-Catherine. Impossible de me débarrasser de cette girafe dans un verre.

Inopinément, l’envie me prend de boire un verre. J’entre dans le premier bar à ma portée : « Place Deschamps », salle des pas perdus, Place des Arts.

Sans trop savoir pourquoi, je commande un dry martini.


Le regard vague, je bois une girafe.


samedi 14 mai 2011

Les nappes sont des drapeaux inutiles


Untitled, Burgos, Espagne, 2006
André Lebeau
L’été.
Les nappes que l’on étend sur la corde.
 Des drapeaux inutiles sur lesquels s’accrochent désespérément des papillons moribonds.
Elles battent au vent pour rien.
Elles sèchent.




mardi 10 mai 2011

Il devrait toujours y avoir des arbres dans les églises

S’il y avait des arbres dans les églises, on pourrait y lâcher des oiseaux, des oiseaux fous d’espace et de Dieu, des oiseaux par milliers. Car rien ne plaît tant à Dieu que des arbres qui parlent, des arbres illuminés d’oiseaux, des arbres de Noël décorés d’oiseaux turbulents, des arbres qui parlent de lumière et de Dieu, le jour comme la nuit, de ce silence que l’on ne trouve qu’en forêt, et si proche de l’idée qu’on se fait du nirvana.

Il y a dans les églises tellement d’espace à combler ; les églises devraient être des arches de Noé à ciel ouvert ; les églises devraient toujours être à l’image de dieu, pas à celle des hommes qui confondent la beauté avec l’or, les oiseaux avec les anges, et qui oublient, trop souvent, que le chant des oiseaux est la plus authentique des prières adressées à Dieu.
Faire des églises de grandes forêts de silence, de lumière et d’oiseaux ; ou alors, déplacer les églises en forêt.
Et remplacer les célébrants par des moulins à vent.


dimanche 8 mai 2011

C'est par leur ventre que les femmes enceintes sourient

L'Espoir I, 1903
Gustav Klimt (1862-1918)
Chaque fois que je vois une femme enceinte, c’est plus fort que moi, j’ai envie de lui demander la permission de caresser son ventre. Les femmes enceintes ont quelque chose dans le visage, je ne sais trop, comme un surcroît de joie, qui me porte à sourire. C’est par leur ventre que les femmes enceintes sourient.

Je crois que cela tient à la fois de la rondeur de leur taille, de leurs seins, de la tendresse presque surnaturelle qui émane de leur regard. Les femmes enceintes sont des melons d’eau gorgés d’amour, des cantaloups de miel imprégnés de bienveillance.
Le ventre des femmes enceintes semble doté d’yeux. Personne ne peut résister au ventre d’une femme enceinte. Il y a dans les yeux d’une femme enceinte les yeux de quelqu’un d’autre : les femmes enceintes portent leurs enfants dans leurs yeux.
Les femmes enceintes posent toujours leurs mains sur leur ventre. Les femmes enceintes jouent du tambour sur leur ventre pour faire rire leur enfant.
Les femmes enceintes sont des boîtes à surprise.


vendredi 6 mai 2011

Les poissons rouges adorent les papes

Les poissons rouges, 1912
Henri Matisse (1869-1954)
Hier, Roman Polanski, mon poisson rouge de trois ans, me confiait à quel point il aimait Benoît XVI. Je crois qu’il s’ennuie et qu’il se cherche de nouveaux amis. Benoît XVI aussi, sans doute.
Mon poisson rouge, comme tous les poissons rouges, a une mémoire de trois secondes ; je dois sans cesse lui rappeler comment il s’appelle. Pas question, pour lui, de lire « À la recherche du temps perdu ».
Mon poisson rouge aurait aimé apprendre le braille.
Sa vitre ne sera jamais « un jardin de givre ».
Tous les matins, il lit son horoscope.
Mon poisson rouge aime l’opéra, le pâté chinois et Céline Dion.
Entre l’eau et la bière, j’hésite.


jeudi 5 mai 2011

Léontine joue avec des ciseaux

Chat saisissant un oiseau, 1939
Pablo Picasso (1881-1973)
Léontine confond le mot « oiseau » avec le mot « ciseaux ».
L’été, elle adore se bercer sur le balcon, pour écouter chanter les ciseaux. Quand elle s’ennuie, elle prend ses oiseaux et découpe des images dans les journaux. Léontine écrit parfois des poèmes, des poèmes avec beaucoup de ciseaux qui chantent.
On a offert à Léontine un petit chat pour son anniversaire, noir et blanc, avec un petit museau tout rose. Elle l’a baptisé Mary, même si sa mère lui a répété à maintes reprises que c’était un garçon. Mais Léontine est persuadée que c’est une fille, parce que les garçons, croit-elle, ne peuvent pas avoir un nez rose. Léontine n’aime pas les garçons : ils ont de trop grandes oreilles, et ils sont méchants avec les filles. Les chats, eux, se laissent toujours prendre, comme les ciseaux, mais jamais les garçons.
La mère de Léontine ne veut pas qu’elle joue avec des ciseaux. C’est dangereux, c’est plein de maladies, qu’elle dit, chaque fois que sa fille lui en rapporte à la maison. Alors Léontine se tourne vers son chat ; elle sait que les chats adorent jouer avec les ciseaux.