vendredi 29 avril 2011

Les poules sont de petits dinosaures sympathiques


Combat de coqs, 1846
Jean-Léon Gérôme (1824-1904)

Quand j’observe une poule, c’est toujours un petit dinosaure que mes yeux voient : leurs pattes écaillées, leurs yeux menaçants, leur bec acéré, leur forme profilée, leurs œufs. La violence des combats de coqs rappelle, à plus petite échelle, les luttes mortelles des tyrannosaures, des brontosaures et des tricératops. J’ai conservé l’ingénuité de l’enfant qui croit encore que les poules sont des dinosaures. De tous les animaux, je crois que la poule est l’un de ceux qui font le plus rire les enfants.

Les poules sont de petits dinosaures sympathiques, des dinosaures qui ont troqué leurs écailles contre des plumes. Les animaux à plumes n’inspirent que de la sympathie ; même l’autruche, à la rigueur, est attendrissante. Une poule à écailles serait aussi repoussante qu’un archéoptéryx !

À quatre ans, mon père a subi les assauts impétueux d’un coq vicieux s’accrochant désespérément à son entrejambe. Si sa mère n’était pas intervenue à temps, il y a de fortes chances que je n’aurais pas vu le jour. À quatre-vingts ans passés, il en parlait encore !

Chaque fois que je casse un œuf, je suis toujours surpris de ne pas y trouver un bébé dinosaure tout froissé appelant désespérément sa maman ; chaque fois que je fais cuire un œuf, je pense à mon père.

Quand j’étais enfant, je me disais que si les jaunes d’œufs avaient été verts ou rouges, on aurait eu des poussins verts et des poussins rouges.

Les oiseaux sont tout ce qu’il nous reste des dinosaures.


dimanche 24 avril 2011

Les dessous de Louis


Tom of Finland (1920-1991), 1962

C’est le lever du Roi à Versailles. Un valet écarte les rideaux du lit, le Roi-Soleil paraît, en chemise de nuit, les cheveux en broussaille. On lui apporte ses mules. Le long cérémonial du Petit Lever commence : habilleurs, barbier, perruquier, chirurgiens défilent à tour de rôle, multipliant les courbettes. On lui apporte sa chaise percée. À Versailles, le Soleil se lève en personne tous les matins à huit heures.

Tapis dans un coin de la chambre, quelques mignons à perruque et à talons hauts, poudrés comme des geishas, se gaussent, colportant les derniers ragots de la cour, échangeant des insanités sur tout un chacun, les yeux rivés sur l’entrejambe royal dont on vante les mérites et les vertus prolifiques jusque dans les cuisines du palais.

Mais ni l’éclat et la magnificence de la cour, ni le marbre, ni l’or, ni le cristal, ni la dentelle à ses poignets, ni ses habits damassés cousus de fils d’or et d’argent, rien de tout cela ne pouvait faire oublier l’haleine fétide du Roi-Soleil au réveil.

vendredi 22 avril 2011

Je n'en reviens pas des abeilles


Les abeilles, 1948
Henri Matisse (1869-1954)

Je n’en reviens pas des abeilles, ces infatigables travailleuses du sexe, toujours au boulot, toujours le nez fourré dans le cul des fleurs, toujours saoules.

Jolies, en plus, dans leur petit maillot à rayures noires et jaunes, des plumes à leur chapeau, le sac à main toujours bien rempli, tout pour nous faire oublier leur parfum trop lourd, leur voix trop mielleuse.

Incapables de résister à la bière, au champagne, orgiaques à souhait, les abeilles se vautrent dans l’or à longueur de journée, insatiables, les lèvres dégoulinantes de nectar, lascives et sensuelles, allumeuses, l’haleine sucrée de mille fleurs, vrombissant et jouissant, jusqu’au vertige, jusqu’à plus soif, jusqu’à l’extase, jusqu’à ce qu’elles ne soient plus qu’un brasier d’amour, un baiser gourmand, ardent, transcendant.

Peut-être envient-elles un peu les papillons, leurs grandes ailes tendues comme des voiles, chatoyantes comme ces robes de bal qu’on ne porte qu’au théâtre, qu’on ne voit qu’à l’opéra ; peut-être envient-elles encore davantage les oiseaux-mouches drapés dans leur queue-de-pie irisée et en haut de forme. C’est peut-être pour cela, oui, pour oublier, que les abeilles s’enivrent.

Apôtres de l’amour absolu, les abeilles ne donnent que le meilleur d’elles-mêmes.

On oublie trop souvent que, sans elles, les dieux ne seraient pas immortels.



mardi 12 avril 2011

Le printemps est une gouache découpée de Matisse



La gerbe, 1953
Henri Matisse (1869-1954)
Au printemps, chaque année, j’ai l’impression de sortir du « Carré noir sur fond noir » de Malevitch pour sauter à pieds joints dans une gouache découpée de Matisse. Un beau matin, les oiseaux et les fleurs, comme échappés du soleil, crient de toute part, comme s’il y avait le feu.

Ces matins-là, j’ai le sourire très saint François d’Assise : les bras en croix sur mon balcon, j’offre mon corps au soleil, dans une attitude solennelle, ascensionnelle, christique. J’ouvre la cage de mon cœur, libérant du coup tous les oiseaux et toutes les fleurs que l’hiver avait contraints à la réclusion et au silence. J’assiste triomphalement au suicide de l’hiver dans une apothéose proche de l’extase mystique.

Les fleurs, tout comme les oiseaux, signent l’arrêt de mort de l’hiver : ce sont les trompettes de Jéricho qui mitraillent le ciel de leur insolente beauté, de leur folle arrogance ; à force de représailles, ils viennent enfin à bout de l’hiver.

Ces éruptions cutanées qui couvrent la terre au printemps, cette cacophonie gouailleuse, à nous faire croire réellement à la résurrection !


samedi 9 avril 2011

Les éléphants à plumes


Cygnes reflétant des éléphants, 1937
Salvador Dalí (1904-1989)

J’ai toujours considéré les éléphants comme des animaux tristes. C’est de l’anthropomorphisme, je sais.

Enfant, je ne comprenais pas pourquoi leur corps n’était pas couvert de belles plumes multicolores, comme celles des aras, par exemple, ou longues et flexibles, comme celles des incroyables et surréalistes oiseaux-lyres. Cela m’attristait de les voir ainsi dénudés, tout gris, et il m’arrivait souvent de dessiner des éléphants-aras et des éléphants-oiseaux-lyres aux couleurs chatoyantes.

Les petits cochons roses, j’aimais bien aussi, mais pourquoi n’en trouvait-on pas des bleu poudre, des vert émeraude, des jaune pâle ?

Encore aujourd’hui, je me dis que des rhinos à plumes, couleur cuisse-de-nymphe, ce ne serait pas mal non plus. Le monde est tellement gris !




mardi 5 avril 2011

Les Riopelle se ramassent à la pelle


Feuilles III, 1967
Jean-Paul Riopelle (1923-2002)

La beauté, qu’elle soit « bizarre » (Baudelaire) ou « convulsive » (Breton), n’a qu’un devoir : nous émouvoir. Qu’il s’agisse d’une toile, d’un livre, d’une chanson, d’une musique ou d’un paysage, si une forme ou un objet m’arrache des larmes, je sais que je suis en présence de la beauté.

Pourvu de cette sensibilité extrême qui me permet de voir ce que mes yeux ne peuvent entendre et ce que mes oreilles ne peuvent voir, je me suis donné pour mission de partager avec le plus grand nombre possible cette beauté-là du monde que certaines âmes nostalgiques appellent encore poésie.

Riopelle s’est toujours défendu d’être un peintre abstrait, mais personne ne voulait le croire. C’est que la plupart des gens ne savent pas regarder, pas plus d’ailleurs qu’ils ne savent écouter. C’est précisément pour eux que j’écris.

Dans la forêt laurentienne, en automne, les Riopelle se ramassent à la pelle, mais personne ne les voit.



dimanche 3 avril 2011

Sous la jupe de la Tour Eiffel

Madame Eiffel
(photo : André Lebeau, mai 2009)
C’est une vieille dame qui n’a rien perdu de son charme d’antan, même à 122 ans! On vient de partout dans le monde lui rendre hommage, multipliant les courbettes et les révérences d’usage réservées aux personnages de marque. La Tour Eiffel nous accueille toujours à bras ouverts, avec grâce et déférence, le cœur sur la main, le sourire aux lèvres.

C’est la descendante en ligne droite de La Vénus de Milo et de La Joconde, ses sœurs d’âme, avec lesquelles elle partage cette aura de mystère qui accompagne toujours la beauté. C’est une beauté nue, la plus célèbre des actrices, une Marilyn de fer, sans rouge, au sex-appeal aussi magnétisant.

On aime se promener sous sa large jupe ajourée, s'y abriter, comme les enfants que ces braves paysannes d’antan camouflaient sous leur jupe pour les tenir au chaud, faire voler ses innombrables jupons transparents, en portant haut notre regard pour voir et entendre battre son cœur, et s’en étourdir, jusqu’au vertige.

Beaucoup moins prude que la plupart de ses rivales, la Tour Eiffel se laisse même toucher.