mardi 11 décembre 2012

Un long voyage en ballon

Le violon d'Ingres, 1924
Man Ray (1890-1976)
Rondes d’amour, énormes de vie, soufflées à l’hélium, on voudrait se blottir contre leur ventre pour écouter les battements roses d’un petit cœur qui bat trop vite.

On voudrait poser sa tête sur cet oreiller moelleux, rebondi, pour l’entendre ronronner; on voudrait les entourer de nos bras, leur souffler des mots doux dans le cou, pouvoir s’endormir avec elles le temps d’une éternité, et voyager, voyager longtemps, vers « le vert paradis des amours enfantines[1] »; on voudrait percer le mystère de ce ventre d’amour : on rêve d’être un bébé kangourou.

Alors on part avec elles pour un long voyage en ballon.
Enveloppantes, caressantes, toujours à méditer, les mains posées à plat sur leur ventre consacré, elles se bercent en chantant, ondulent, chavirent, le temps qu’il faut à un sourire pour irradier, le temps qu’il faut à l’amour pour rayonner.
Alors on écoute Suites pour violoncelle seul, de Bach, et l’on s’envole avec elles, en pensant à notre mère.



[1] Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal, « Moesta et errabunda ».

jeudi 6 décembre 2012

Le bouquet de neige


Un poète, 2012
Denis Payette
Montréal, janvier 1886.
C’est un matin d’hiver, froid. Le vent souffle en rafales et fait tourbillonner la neige.
L’enfant n’entend pas la cloche qui annonce la fin de la récréation.
Le maître appelle l’enfant, à deux reprises, mais sa voix se perd en écho dans l’air glacial.
L’enfant aux mains nues frissonne de tout son corps.
 
Le maître a rejoint l’enfant.
«  Il faut rentrer maintenant », dit le maître. 
La voix est posée, se veut rassurante. Puis il tend une main à l’enfant.
Mais l’enfant reste là, inerte et frissonnant, son impossible bouquet de neige à la main.
 
L’élève et le maître arborent le même sourire triste, mus par le
même pressentiment trouble.