dimanche 22 septembre 2013

Je ne communie plus que par les yeux


Le soleil, 2006
Dale Chihuly
Crédit photo: André Lebeau
Si je ne devais prier qu’un seul dieu, ce serait Apollon, ou alors Dionysos : le beau ou l’ivresse. Je ne conçois pas l’un sans l’autre.

Est beau ce qui est propre à nous ravir : tout ce qui nous élève, littéralement — j’allais écrire « tout ce qui nous enlève »—, nous rapproche des dieux. Tout ce qui est beau m’enivre. : une cathédrale gothique aussi bien qu’une pivoine.

Même la beauté qu’on n’atteindra jamais, comme celle de Jacques Brel dans « La Quête », ou celle, plus désespérée encore, d’Icare dans son ascension folle vers le Soleil; la beauté silencieuse du cosmos qui donnait des frayeurs à Pascal; la beauté jusque dans la laideur ou dans l’abject, la beauté du mal qui a fait la gloire de Baudelaire; la beauté sulfureuse, noire, incandescente d’une Marilyn divinisée de son vivant; la beauté spectrale du chat, celle des garçons que Michel-Ange embrassait et peignait à la détrempe; la beauté convulsive de Breton; la beauté surréelle des mondes embrasés de Chihuly; la beauté d’un dieu qui en embrasse un autre; la beauté jusqu’à la saturation, jusqu’à l’incompréhension, jusqu’à la révulsion.

Chaque fois qu’on s’approche de la beauté, chaque fois qu’on touche au sublime, la mort recule d’un pas : c’est Dionysos étreignant Apollon, la victoire de la lumière sur les ténèbres.

L’art, c’est là tout mon idéal religieux. Je ne communie plus que par les yeux. N’aspirer à rien d’autre que cela et n’espérer nul autre salut : devenir un bouddha de la beauté.

dimanche 1 septembre 2013

Virgules et points-virgules

Adam et Ève ,1599
Peter Paul Rubens (1577-1640)
 
Je voudrais que les cigales étirent leur chant jusqu’en décembre, au moins ; je voudrais que ma mère puisse vivre encore longtemps, jusqu’à cent ans ; je voudrais que Barbara ressuscite, tout de suite, là.

Je voudrais embrasser Robinson Crusoé, caresser sa barbe, et compter les étoiles avec lui la nuit, tout nu, sur une plage d’or ; je voudrais que tous les êtres sensibles puissent être libérés de la souffrance ; je voudrais un petit bouddha rose et replet pour chaque enfant qui vient au monde ; je voudrais me baigner dans tes cheveux.

Je voudrais accoucher d’une rose géante ; je voudrais que Y*** se décide enfin à appeler JP***, pour lui dire qu’il l’aime, à la folie, et jusqu’à la fin des temps ; je voudrais épousseter une étoile pour me maquiller de son or.

Je voudrais remonter dans le temps, très loin, jusqu’à pouvoir offrir moi-même la pomme à Adam.

Je voudrais planer au-dessus d’un volcan en éruption avec toi me tenant par la main ; je voudrais 15 chats dans la maison, et des lapins aussi, de toutes les couleurs ; je voudrais écrire le plus beau poème du monde, en hommage à ta beauté, j’y parlerais de tes yeux, de ta main sur ma cuisse, de ton sexe dans ma bouche ; je voudrais voir fleurir tes seins juste avant de mourir.

Je voudrais RIRE BLEU, une fois, seulement une ; je voudrais chatouiller la terre jusqu’à ce qu’elle hoquette ; je voudrais lire Le Petit Chaperon rouge et La chèvre de monsieur Seguin à un bébé orang-outang, pour l’endormir ; je voudrais réanimer le Petit Prince et l’amener chez McDonald's.

Je voudrais refaire ma Première Communion, me marier avec toi, en habit et nœud papillon ; je voudrais boire un martini, en compagnie de Baudelaire, un soir de pleine lune, vêtu de rose de la tête aux pieds, les cheveux verts. 

Je voudrais repasser moi-même la jupe de Marguerite Duras et lui servir à boire ; je voudrais du bizarre, de l’incongru, 15 hommes nus dans ton lit pour ton anniversaire ; je voudrais que tu saches que j’ai pleuré pour Adèle H.

Je voudrais peindre une Joconde et signer Denis de Vinci ; je voudrais laver les pieds et les cheveux de saint François d’Assise ; je voudrais refaire le Chemin de Compostelle avec toi, en talons hauts, ou sur ton dos.

Je voudrais être ton écrivain préféré et te dédicacer tous mes livres ; je voudrais que tu saches que je n’écris que pour toi, virgules, et points-virgules.