dimanche 27 avril 2014

J'ai l'impression de communier chaque fois que je mange des olives

Noé envoie une colombe sur la terre, 1866
Gustave Doré (1832-1883)
D’abord, il a fallu trouver du bois, beaucoup. Il a fallu ensuite le couper et l’assembler. Ne restait plus alors qu’à attendre. Puis ils sont arrivés, deux par deux, sans même qu’on les appelle. Et la pluie est venue, en trombe, on n’avait jamais vu pareil déluge. J’aurais voulu être Noé. Ce poète-là.

C’est dans l’attente, l’attente de cette pluie providentielle, que Noé supplante tous les prophètes de son époque : de tous, c’est sans doute le plus charismatique. On l’imagine souriant, confiant, les yeux rivés au ciel, appuyé au bastingage de son arche impossible. Jamais personne auparavant n’avait contemplé le ciel avec autant d’humilité. Noé est le contraire d’Icare : le combat du premier est terrestre ; celui du second est céleste. Icare rivalise avec le soleil ; Noé reste bien cramponné au sol. Noé est confiant, humble, patient ; Icare est impétueux, prétentieux, impatient. Le génie de Noé aura été de laisser le vol aux oiseaux. Noé conservera toujours une longueur d’avance sur Icare : il sait pertinemment que l’on peut voler, c’est-à-dire se rapprocher de Dieu, sans être pour autant pourvu d’ailes dérisoires. Noé a toujours préféré les colombes aux aigles.

La belle et grande folie de Noé ! Cette leçon de patience, cette profession de foi magnanime, cette confiance aveugle en la vie !


Enfin, cette image, probablement le plus beau poème du monde : une colombe ascensionnelle qui porte dans son bec une branche d’olivier. Cette promesse d’aube-là. J’ai l’impression de communier chaque fois que je mange des olives.


 



Les mains des oiseaux





L'oiseau de ciel, 1966
René Magritte (1898-1967)
Au départ, on vise la beauté. Rien d’autre. Ne reste plus alors qu’à trouver la forme. La plus parfaite qui soit.



La poésie, c’est donner un sens à ce qui n’en a pas; c’est donner une voix à ceux qui en sont dépourvus; c’est « donner à voir », disait Éluard; c’est « la grande vie », dirait Bobin.

La poésie, c’est laisser vivre en paix les animaux : c’est se soucier du sort des derniers éléphants d’Afrique et d’Asie.

La poésie, c’est ne rien faire : c’est regarder pousser une fleur toute la journée en lui parlant de la rose du Petit Prince.

La poésie, c’est cette petite fille de 6 ans qui remonte son collant rose comme seules savent le faire les fillettes de 6 ans – avec beaucoup de grâce, d’insouciance et de légèreté; la poésie, c’est le petit Noah et son armée imaginaire d’escargots géants pourchassant un baleinier; c’est cette vieille femme qui étend son linge avec tellement d’application, de quiétude et de confiance en la vie; cette autre qui jette du pain rassis aux moineaux, l’hiver. Cela, que je photographie, pour en faire des poèmes.

La poésie, c’est construire un château de cartes tout en ayant l’assurance de pouvoir l’habiter un jour; c’est Maurice et Raymond, la casquette de travers, qui s’embrassent en cachette dans leur auto-patrouille.

La poésie est la suite normale du monde; sans elle, inutile de poursuivre, de tenter quoi que ce soit. Les oiseaux, qui chantent pour chanter, qui chantent pour rien, sont là pour nous le rappeler. L’avenir de l’humanité est entre leurs mains.

« La vie ne tient souvent qu’à un fil », me confiait, l’autre jour, un oiseau de passage. Ce fil ténu, la poésie.