dimanche 27 février 2011

Bull blogue

Bull-terrier
Si je décidais d’adopter un chien, j’opterais sans contredit pour un bull-terrier, ce petit chien robuste à tête de veau, à l’œil torve, court sur pattes. Je l’appellerais Bobby Watson, en l’honneur d’Eugène Ionesco, ou alors Marie Stuart, Jeanne Moreau, Simone de Beauvoir, Alys Robi, en l’honneur de toutes ces femmes célèbres qui ont marqué l’Histoire, l’ont transformée, ces femmes de caractère, à la fois femmes de tête et femmes de cœur.

Le bull-terrier est un pisteur, un chien de tête, un chef de meute, un leader. On devrait en faire le nouvel emblème du Québec. René Lévesque appartenait à cette race fière et forte.

Le visage décomposé de René Lévesque au lendemain du référendum de 1980 me rappelle le regard abattu du bull-terrier, cet air de clown triste, démaquillé, à peine supportable.

Mon bull-terrier pourrait aussi s’appeller Paspébiac, Matapédia, Cacouna, Val-d’Or, en l’honneur de tous ces pionniers, de tous ces bâtisseurs, de tous ces rêveurs qui voyaient grand et qui croyaient en leur pays.

Mes bull-terriers seront de braves bêtes, au caractère déjà bien formé.

Le bull-terrier est aussi un excellent ratier.


Zyx

Le plaisir des mots
Dictionnaire poétique illustré, 1983
Georges Jean
Dommage que le mot « zyx » n’existe pas, car de toutes les lettres de l’alphabet, le « z » l’« y » et le « x » sont mes préférées.

Le « z » me rappelle mon enfance : « zèbre », « zébu », « zibeline », « zoo », les premiers mots « savants » que j’ai appris et avec lesquels, déjà, je m’amusais à faire des phrases que je montrais ensuite fièrement à ma mère, qui me corrigeait, au besoin.

« J’ai vu un zèbre au zoo. »
« Le zébu est bossu. »
« Les zibelines sont blanches en hiver. »

J’étais à la fois fasciné et troublé par l’« y », cette étrangère, cette doublure, ce faux « i ». Pourquoi un « i » français et un « i » grec? Et si l’on devait mettre un point sur l’« i », pourquoi n’y en avait-il pas deux sur l’« y »? Pourquoi ne pas écrire « ÿeti », « ÿoupi », « ÿoga », « ÿen », « ÿo-ÿo » avec des doubles points?

Quant au « x », quelle merveille! Une lettre qui pouvait servir à former des mots aux sonorités bizarres comme « xylophone », « xénophobe », « xérès », mais aussi à faire des opérations mathématiques.

« Z », « Y », « X », dommage que le mot « zyx » n’existe pas, car, quand quelqu’un me demande du tac au tac « Comment ça va? », et qu’il passe son chemin sans même attendre ma réponse, je ne sais pas ce qui me retient de lui crier par la tête, les mains en porte-voix : « Ça va très bien! C’est la pleine forme. Ça "zyx" » , je dirais.

Au nom de mon enfance retrouvée, au nom de la poésie et en mon nom personnel, je revendique le néologisme « zyx ».


mardi 22 février 2011

L'art de traire les orchidées

Portrait de Molière dans le rôle de César, 1658
Nicolas Mignard (1606-1668)
Dans « L’Avare », Molière fait dire à l’un de ses personnages : « Mon Dieu! je sais l’art de traire les hommes, j’ai le secret de m’ouvrir leur tendresse, de chatouiller leurs cœurs, de trouver les endroits par où ils sont sensibles. » Il s’agit, en fait, du personnage de Frosine, une intrigante. J’ai toujours aimé cette réplique, la pièce, le personnage aussi.

À l’instar de Frosine, je dirais que moi aussi je sais l’art de traire les hommes, mais je préfère de loin traire les orchidées. Je sais leur parler, les réconforter, les flatter dans le sens du poil pour qu’elles me prodiguent toutes leurs richesses, leur beauté bizarre, leur parfum voluptueux, leur charme secret. Je me délecte de leur lait chaud, sucré, coloré. Je les mènerais tous les soirs au bal si je roulais carrosse.

J’en ai une qui me fait les yeux doux quatre mois par année, de février à mai, une autre qui sent le chocolat à la vanille et qui ne fleurit qu’à Pâques. Je connais leurs désirs, leurs goûts, sur le bout de la langue. Mes orchidées aiment le vent, l’humidité, le chant des oiseaux l’été et les bocages ombragés, frais. L’hiver, elles m’accompagnent au bain et nous conversons des heures durant, ou alors je leur lis un ou deux passages d’une pièce de Molière. La scène 5 de l’Acte II de « L’Avare » les fait toujours rire.


dimanche 20 février 2011

L'extase de vivre

L'extase de sainte Thérèse, 1647-1652
Le Bernin (1598-1680)
À la manière des poules, j’essaie de pondre au moins une fois par jour, quelque chose, quelques lignes, un petit œuf de rien du tout, l’important étant de ne jamais arrêter la production. Tant que je n’aurai pas pondu un œuf en or, je persisterai et je signerai.

Au supermarché, je n’achète que des œufs de poules élevées en liberté, car seule une poule peut savoir ce qui convient le mieux à son régime alimentaire. On peut se fier à son instinct : la poule ne tergiverse jamais quand il est question de manger, elle a peut-être toute la journée devant elle, mais elle se couche tôt. Quand elle fait son marché, la poule ne lésine sur rien : on ne regarde pas à la dépense quand on ne pense pas.

À observer les poules, ou plutôt à les imaginer, j’ai fini par découvrir un art de vivre. Il est accessible à tous, ne coûte rien et n’exige aucun effort : pour vivre heureux au quotidien, imitez les poules!

Première règle : se lever tôt, avec le soleil si possible, pour ne pas manquer la prière des oiseaux, leurs ablutions matinales dans la rosée, leurs acrobaties aériennes dans la lumière.

Deuxième règle : se coucher tôt, mais pas nécessairement pour dormir. On peut, par exemple, préparer une fondue au fromage et, question de rompre avec la routine, la servir au lit, sur des feuilles de bananier, habillé le moins possible.

Troisième règle : désencombrer son esprit, penser le moins possible, dépenser son énergie en exerçant son pouvoir créateur, quitte à passer la journée à tailler dans des briques de tofu des petits bateaux qui, le soir venu, feront la joie des enfants à l’heure du bain.

Vivre, ce n’est rien d’autre que de s’extasier devant le miracle de la vie chaque jour renouvelé : s’extasier devant la vie comme une poule devant son œuf.


Dix mille cocoricos

Coq licorne 1952
Jean Dallaire (1916-1965)
Je me lève parfois le matin avec une envie de vivre telle que j’ai l’impression que des profondeurs de mon être monte le cri de milliers de coqs s’époumonant pour célébrer la victoire d’un nouveau jour, dix mille cocoricos stridents comme une admonestation au ciel pour faire reculer les nuages, une joie de vivre telle que je me surprends à replier mes bras sous mes aisselles comme si j’étais sûr de pouvoir m’envoler.

Ce cri, je l’entends distinctement, c’est celui de l’envol, celui qui nous pousse à voir plus loin que le bout de notre nez, celui qui nous redresse le dos et nous fait lever la tête, et marcher sur la pointe des pieds, un cri qui vous secoue de bas en haut, traversant chacune des vertèbres de votre dos, qui vous fouette les sangs, à la fois cri de ralliement et chant d’amour, un opéra dont vous êtes à la fois le héros, l’héroïne, les chœurs à vous tout seul.

Alors, oui, réellement, je m’envole, les deux pieds au sol, les bras en croix, la tête au ciel, un Christ de bonheur.


samedi 19 février 2011

Les érables embrassent bien

Le baiser, 1859-1867
Francesco Hayez (1791-1882)
Il faisait si beau hier, on aurait dit le printemps, une lumière à nous faire croire aux miracles. Je suis sorti embrasser l’air. Les corneilles entonnaient « Heureux d’un printemps », de Paul Piché, qui est au printemps ce que « Mon pays, ce n’est pas un pays », de Vigneault, est à l’hiver.

Si j’avais eu mes bottes en caoutchouc, j’aurais sauté à pieds joints dans la première flaque d’eau à ma portée : je trépignais de la tête! L’envie de boire la sève d’un érable à la paille, de ramasser des brindilles pour m’en faire un nid, d’ouvrir toute grande la baie vitrée de mon âme et libérer tous les oiseaux captifs que l’hiver contraint à la réclusion et au silence.

Je me suis même surpris à enlacer un arbre, retrouvant du coup mon enfance. Puis j’en ai étreint un second, puis un autre, et un autre encore.

Je puis aujourd’hui le confirmer : les érables embrassent bien.


jeudi 17 février 2011

Les Filles du Roy

Louis XIV (1638-1715) en 1701
par Hyacinthe Rigaud (1659-1743)
Par un beau matin, elles sont parties de Saint-Malo, de La Rochelle, de Honfleur, je ne sais trop, j’invente, j’imagine, par ordre du Roy, abandonnant tout derrière elles, pour des contrées inconnues, à peine explorées, peuplées de « sauvages » et de bêtes féroces, prêtes à tout, même à épouser un mari dont elles ignoraient s’il était jeune ou vieux, beau ou laid, tendre ou violent.

Je n’ai de cesse d’admirer ces valeureuses filles s’embarquant pour l’inconnu, avec leur seul cœur comme bagage. Souvent je pense à elles.

J’ai parfois l’impression d’avoir été l’une d’elles, et si j’ai été l’une d’elles, c’est sans regret que j’ai quitté l’Ancien Monde pour le Nouveau. Je me souviens que pendant la longue traversée j’ai pleuré souvent, pressant le chapelet de ma mère tout contre ma poitrine.

Dans une autre vie, je me plais à imaginer que j’ai été heureuse, et mère à mon tour.


mercredi 16 février 2011

La soupe aux lilas

« Ma grand-mère préparait la meilleure soupe aux lilas qui soit! »

« Avant de s’ouvrir les veines, elle a changé l’eau des roses en vin. »

« Les chiens voudraient communier sous les deux espèces : à l’osso buco et au lait de mammouth transgénique. »

« Elle parlait plusieurs langues, trichait aux cartes et collectionnait des verrues. »

« L’été, il regardait pousser les pâtés chinois qu’il avait semés au printemps. »

« Elle pliait soigneusement les briques, les madriers et les enclumes, comme le lui avaient si bien enseigné les religieuses au couvent. »

« En guise de boucles d’oreille, elle portait deux rubans à mouches en cire d’éléphant, ramenés de Rurutu. »

« Pour prouver à quel point il aimait sa femme, le jour de son anniversaire, il remplissait la piscine de Rice Krispies et de crème 35 %. »

« Il n’y a pas que les loups qui soient de marbre, la soie dentaire aussi. »

« La peau de Dieu croît avec l’usage. »

« Comme chaque année, grand-père a accroché son dentier au sapin. »

« Toutes les girafes font des mailles dans leurs bas nylon. »

« Au soleil, je suis toujours dans la lune. »

Le français est une langue vivante, riche et nuancée, l’une des plus belles au monde. Je rêve de publier un Petit Précis de grammaire absurde qui donnerait aux Anglais, aux Américains, aux immigrants venus s’établir chez nous ainsi qu’à tous les chimpanzés, le goût d’apprendre notre langue.


mardi 15 février 2011

Les papillons d'hiver

Gros rhume d’hiver : congestion nasale, fièvre, poumons en feu. Je n’en peux plus d’attendre le printemps. Trop triste l’hiver : pas assez de parfums, pas assez de couleurs. Inodore et Incolore, les petits frères jumeaux de l’hiver, s’ennuient ferme.

Inodore, se blottissant contre le corps chaud de son frère : « Si au moins il y avait des papillons en hiver, ce serait moins triste. »

Incolore, le pressant fort sur sa poitrine : « Oui, des papillons d’hiver, les ailes bien emmitouflées dans de chauds cardigans aux couleurs vives, et des petits bonnets de laine rouge et blanc sur chaque antenne, ça égaierait un peu l’hiver. »

Inodore et Incolore s’endorment, blottis dans les bras l’un de l’autre, rêvant de chevaucher des papillons géants qui les mèneraient là où il fait tellement chaud que le soleil fait fondre les bagues aux doigts et les boucles aux oreilles.

La mère venant border ses enfants arrive juste à temps et décide de s’embarquer avec eux. Elle a laissé un mot pour le père : « Partie avec les enfants au Pays de l’Or qui fond. De retour avec les lilas. »


dimanche 13 février 2011

Un petit faune callipyge

Faune callipyge
Jardins royaux de Kew, Londres, Angleterre
(photo : André Lebeau, 6 mai 2009)
À Londres, dans les jardins du Château de Kew, André a photographié un faune au regard malicieux. Le sculpteur lui a fait un joli petit cul rebondi, agrémenté d’une queue au-dessus du coccyx. Tout à fait charmant!

Impossible de ne pas penser à mon père, grand amateur de Scrabble, quand j’écris le mot « coccyx », le mot « onyx », le mot « oryx ».

À notre petit faune callipyge de Londres, mon père aurait sans doute préféré La Vénus de Milo, assez bien pourvue, elle aussi, de ce côté-là. Je crois savoir également qu’il ne devait pas ignorer le sens du mot « callipyge ».

Impossible de ne pas penser à mon père, quand j’écris le mot « callipyge »; impossible de ne pas penser à ma mère, quand je me promène dans les Jardins royaux de Kew.


samedi 12 février 2011

M… les f… aiment M… M…

Tout le monde l’aime. C’est une image, une icône, une idole.

C’est avant tout une femme, aussi belle que fragile.

C’est l’incarnation d’un rêve, un mythe.

On pense à elle chaque fois qu’on sabre le champagne.

On aimerait remonter le temps, l’appeler pour lui souhaiter « Bon anniversaire », tenter de réparer l’irréparable.

Il y a, en chacun de nous, homme ou femme, à toutes les périodes de notre vie, un peu d’elle, de son rêve fou.

On l’admire tout autant qu’on la plaint.

On parle toujours d’elle au présent.

Son mystère demeure entier.

C’est une étoile nue, la plus brillante, la plus belle de toutes.

On la voudrait pour sœur, pour femme, pour fille, rien que pour nous, pour nous seuls.

On aime son parfum, celui de l’âme, une parfaite adéquation entre le corps et l’esprit : « Esprit Saint no 5 ».

Elle nous fait croire en l’éternité.

Même les fous aiment Marilyn Monroe.


Il cueille des gorilles



Ce « il » n’est pas moi, en fait, pas tout à fait. C’est celui d’un autre. C’est moi, mais à travers un autre. C’est un peu compliqué. Bref, dans ce rêve, « il » c’est moi, mais ce rêve ne m’appartient pas : c’est celui de mon frère. Il faut une fois de plus donner raison à Rimbaud : « Je est un autre », toujours. On verra plus loin que « il » aussi.

Haut perché dans un arbre, « il » cueille des bébés gorilles qu’il dépose ensuite dans un panier d’osier aussi large que profond. Sur l’Île, c’est le temps de la cueillette, il faut faire vite, car les prédateurs sont nombreux en cette période de l’année.

Ce sont de petites créatures vertes fort attendrissantes, toutes couvertes de poils, fermement accrochées à leur branche, si bien, qu’on a toutes les peines du monde à leur faire lâcher prise sans leur faire de mal, sans les blesser. Tous les bébés sont attifés d’un joli bonnet pointu aux couleurs chatoyantes qui les fait ressembler à des gnomes.

En bas, quelqu’un crie : « Prends garde de ne pas tomber, fais gaffe. » Lui, c’est mon frère. Il a toujours peur qu’il m’arrive quelque chose. C’est comme ça avec les grands frères : toujours aux trousses de leur petit frère. Pourtant, dans le rêve, c’est lui qui m’a incité à escalader l’arbre, c’est lui qui m’a tendu le panier. « Tu verras, m’a-t-il dit, c’est facile, tu n’as qu’à décrocher les doigts un à un. »

Le petit frère a obéi à son grand frère, comme toujours. Les petits frères, le fait est connu, manquent d’initiative; sans leur grand frère pour les guider dans la vie, ils n’entreprendraient jamais rien. Aussi, il ne faut jamais décevoir son grand frère, c’est une loi de la nature.

Le voici maintenant pris de vertige, mais il parvient tant bien que mal à surmonter son malaise. Il s’acharne. Il cueille les gorilles un à un, soulevant délicatement leurs petits doigts, les déposant ensuite précautionneusement au fond du panier.

« C’est toi le meilleur cueilleur de gorilles au monde », lui lance le grand frère, les mains en porte-voix. Mais trop tard, « il » va tomber, « il » tombe, « il » est tombé.

C’est l’hécatombe sur l’Île aux gorilles. Vingt petits cadavres verts jonchent le sol. Le petit frère, lui, s’en tire assez bien. Peut-être une légère entorse, au pire. Penché au-dessus du visage de son petit frère, tentant tant bien que mal de le rassurer, il réalise alors que le cueilleur de gorilles, « le meilleur au monde », ce n’était pas son petit frère, mais lui, le grand frère.

On reste toujours le petit frère de son grand frère, toute sa vie, même dans ses rêves.


jeudi 10 février 2011

L'homme qui plantait des escargots

L'escargot, 1953
Henri Matisse (1869-1954)
C’est le fou du village. On le voit l’été sur les berges du fleuve, près de Boucherville, une chaudière à la main. Comme tous les fous de village du monde entier, il s’appelle Pierrot. Mais lui, Pierrot, ne sait même plus comment il s’appelle.

On ne le voit que l’été, car Pierrot n’aime pas la neige. L’hiver, Pierrot préfère rester auprès de sa mère, à se bercer, comme seuls les fous savent le faire, jusqu’au vertige, jusqu’au printemps, jusqu’à ce qu’il s’endorme, rêvant d’escargots géants qu’il ensevelira vivants au fond du jardin.

Le temps venu, Pierrot retournera la terre, bêchera, sèmera à la volée les escargots, veillant à ce qu’ils ne manquent jamais d’eau.  Pierrot sait se montrer patient. C’est tout ce qu’il sait faire Pierrot, depuis toujours, se montrer patient.

Puis il confectionnera un beau gâteau qu’il offrira à sa mère, à même les escargots qu’il aura récoltés. Un beau gâteau d’anniversaire, pour sa mère, avec des chandelles bleues et des cerises, s’il arrive à en pêcher quelques-unes, sur les berges du fleuve.


mercredi 9 février 2011

Toutes les vaches sont sacrées

La belle d'Aubrac - Fête de la transhumance
(photo : DDM, Jean-Louis Pradels)
Pour moi, toutes les vaches sont sacrées : les noires, les blanches, les tachetées noir et blanc, les jaunes, les brunes, les rousses. Je ne connais aucun autre animal qui aime autant les marguerites, ma fleur préférée. Depuis toujours, les vaches semblent me comprendre.

C’est pour leur lait, bien sûr, que je les estime d’abord, pour cette générosité débordante à l’endroit des humains, mais aussi pour leur patience, pour leur nonchalance et pour leurs grands yeux tristes tout pleins de compassion. J’éprouve pour elles, chaque fois que je prends un train, une vive, tendre et affectueuse reconnaissance : très grandes dames, juchées sur leurs sabots, jamais elles n’oublient de nous saluer, agitant le bout de leur queue comme si elles déployaient un fin mouchoir.

Je puis comprendre que dans certains endroits du monde on leur passe tous leurs caprices. Si J’en avais une, je lui offrirais des fleurs, des bijoux, des fourrures, des parfums, des caramels au sel de Guérande. Je boirais à sa santé, son lait si précieux, dans des coupes en cristal de Baccarat!

Il y a longtemps que j’ai renoncé à manger du veau.


mardi 8 février 2011

Ceux qui mangent du homard en écoutant Maria Callas

« On donne des fêtes surtout pour ceux que l’on n’invite pas. » 
                                                            Étienne de Beaumont (1883-1956)

Le comte Étienne de Beaumont, 1919
par le baron Adolf de Meyer (1868-1946)
Quand, au plus creux de l’hiver, au plus noir et au plus froid, je me mets à rêver de l’été, je m’imagine, festoyant en compagnie d’amis que le champagne met en liesse, me régalant de homard, à l’ombre d’une pergola où court une glycine géante déployant sa longue chevelure bleue qu’une légère brise agite, bercé par les trilles joyeux d’un merle solitaire que la voix de Maria Callas, en sourdine, encourage à se surpasser, le petit doigt très en l’air, heureux. Alors, du coup, je perds tout aplomb.

Oui, je l’avoue, je suis de ceux-là, de ceux qui mangent du homard en écoutant Maria Callas, le petit doigt très en l’air et la langue bien pendue.

J’ai l’imaginaire facile, été comme hiver.


dimanche 6 février 2011

Station Laura Cadieux

Station Laura Cadieux, Montréal, Québec
(photo : André Lebeau, 17 août 2010)
Vendredi dernier, à la station de métro Beaudry — que l’on devrait rebaptiser la station « Laura Cadieux » en l’honneur de Michel Tremblay —, je me suis laissé porter par le tapis roulant. J’ai toujours aimé cette station de métro et, chaque fois que je l’emprunte, j’ai une pensée toute spéciale pour Laura Cadieux, prise de vertige devant cet interminable et monstrueux trottoir mécanique. On connaît la suite : Laura dégringole l’escalier sous le rire amusé de son jeune fils qui l’attendait en bas.

Je me disais aussi, sur un ton moins badin, me laissant porter toujours, que c’était peut-être cela le fameux tunnel de la mort dont on parle tant, que la mort, au fond, c’était peut-être tout simplement cela: se laisser porter.

La vie est toujours plus belle au ralenti, c’est un fait. Le procédé a été amplement exploité au cinéma. En ce vendredi d’hiver plutôt triste et gris, tout me paraissait alors plus beau. Il flottait dans l’air comme un bonheur palpable qu’il me suffisait de cueillir. Dehors, les gens souriaient, les arbres eux-mêmes semblaient conviés à une étrange fête, même la rue Sainte-Catherine prenait des airs de grand bal.

Je marchais d’un pas lent, soulevé par un souffle divin, la vie et la ville m’apparaissaient sous un angle nouveau, pourtant rien n’avait changé. Je respirais mieux, tout simplement; en fait, je prenais conscience que je respirais. Je me disais que la vie était belle, que la ville était belle, avec l’étrange impression que je marchais dans ma tête plutôt que sur le trottoir. : JE NE POUVAIS PLUS M’ARRÊTER DE MARCHER! J’étais en quelque sorte « hors de moi » et je ne pensais plus. J’étais dans un de ces moments d’extralucidité malheureusement si rares et qui, chez moi, s’accompagnent toujours d’un fou rire irrésistible. J’aurais pu, si j’avais voulu, ne plus jamais « rentrer » en moi-même, mais je riais trop.

Et il neigeait sur tout cela, sur la ville, sur les gens, sur les arbres, sur la vie, comme si le ciel lui-même souriait.