samedi 22 octobre 2011

La chambre de Lautréamont

Hommage à Lautréamont, 2011
(Crédit photo: André Lebeau)
L’autre jour, dans la chambre à débarras, j’ai surpris mon parapluie et ma machine à coudre en pleine conversation surréaliste. Lentement, pour ne pas les effrayer, je me suis approché d’eux et j’ai tendu l’oreille:

— Tu es beau, disait la machine à coudre au parapluie.

Elle le regardait droit dans les yeux et l’on pouvait voir qu’elle était vraiment sincère.

— Beau comment? demanda le parapluie, qui arborait un petit sourire malicieux.

Beau comme la rencontre… répondit la machine à coudre, mais elle n’acheva pas sa phrase.

Comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie, déclama le parapluie d’une voix posée et assurée.

— Oui, balbutia timidement la machine à coudre, le rouge aux joues.

C’est vrai qu’ils étaient beaux à voir, et je n’ai pas osé les importuner davantage. Je me suis esquivé en douce, abandonnant mes amoureux à leur bonheur tranquille, me disant que je pourrais bien attendre un jour ou deux avant de réparer mon parapluie et de ranger la machine à coudre.

J’ai refermé tout doucement la porte de la chambre, la chambre de l’amour, la chambre de Lautréamont.

jeudi 20 octobre 2011

Un éléphant m'épile les sourcils

Tuer le père,
Amélie Nothomb, 2011
La nuit dernière, j’ai rêvé qu’un éléphant m’épilait les sourcils.

Rien de vraiment cauchemardesque : je suis là, assis confortablement dans un fauteuil, comme chez le dentiste, et le pachyderme, plutôt sympathique, s’exécute du mieux qu’il peut, avec toute la bonne volonté, l’attention et la douceur qui caractérisent son espèce. J’ai toujours aimé les éléphants : enfant, je rêvais de me faire kidnapper par une mère éléphante qui m’aurait arraché à ma famille pour m’emmener en Afrique afin que je puisse réaliser mon rêve de me faire missionnaire!

Toute la journée, j’ai cherché à comprendre la signification de mon rêve. Dans le « Dictionnaire des symboles  », rien de vraiment édifiant à propos des éléphants. Pas le temps non plus, encore moins le goût, de plonger dans la psychanalyse freudienne : associations, transferts, traumatismes de l’enfance, sexualité refoulée, etc.

Un très beau rêve en somme, tout en douceur et en caresses, d’une transparence cristalline : la veille au soir, en me glissant sous les couvertures, je me suis dit qu’il faudrait bien que je me décide à passer chez le coiffeur; puis, je me suis endormi paisiblement sur cette phrase d’Amélie Nothomb, tirée de son dernier roman :

Les tentes-ateliers foisonnaient, proposant par des affiches les thèmes de réflexion : « Atelier de discussion sur la nature de la matière », « Atelier de peinture corporelle », « Atelier de sexe tantrique ». Celui qui retint le plus Joe fut : « Ici, on tresse les poils pubiens. »

Merci Amélie Nothomb : vos romans me facilitent la vie.

jeudi 13 octobre 2011

J'ai toujours pensé que les chaises étaient des extra-terrestres

Les chaises, 1951
Eugène Ionesco (1912-1994)
J’ai toujours pensé que les chaises étaient des extra-terrestres. À quatre ans, déjà, j’en étais persuadé et je ne m’approchais d’elles qu’avec appréhension et circonspection. Quand j’y repense aujourd’hui, je me dis que Munch et Kafka me comprendraient, sans nul doute.

Je criais au meurtre chaque fois que ma mère m’asseyait dans ma chaise haute à l’heure des repas. Les mères devraient y penser deux fois avant de faire avaler de force à leurs poupons de la purée de carottes et de la simili-viande en pot dans des chaises de contention! Freud, qui ne l’avoua jamais, ne s’en est jamais remis!

C’est que les chaises envient notre position verticale : elles n’attendent que le moment propice pour mieux nous assujettir. Rimbaud l’avait compris, lui, avant tout le monde; on n’a qu’à relire « Les assis » pour s’en convaincre.

Il me faudrait le génie d’un Maupassant ou le talent d’un Van Gogh pour traduire toute l’angoisse que je ressens à la simple idée de m’approcher d’une chaise! Le mot, à lui seul, me fait frémir!

Tout compte fait, je mourrai debout, comme ma grand-mère : debout, en lavant mes vitres, et ma dernière pensée sera pour Nelligan !


mardi 11 octobre 2011

La candeur est toujours photogénique


Les animaux font toujours de belles photos. Cela suffit à me convaincre qu’ils sont, tout comme nous, pourvus d’une âme, qu’importe ce qu’en pensent Saint-Augustin ou Aristote!

J’aime les animaux parce qu’ils nous aiment, voilà tout. De tous les êtres vivants, ils sont les seuls à ne pas nous regarder de haut, et leur confiance inébranlable en nous, qui leur joue parfois de mauvais tours, me les fait aimer davantage. J’aime encore les animaux parce qu’ils ne parlent pas et ne savent pas mentir.

Des oiseaux de proie aux grands singes, de l’oie au furet, du crocodile au poisson rouge, de l’hyène au capybara, de la tortue à la souris, du chevreuil au putois, tous, sans exception, plumes, poils et écailles confondus, je leur témoigne ici tout ma gratitude : vos cris, vos chants, vos ruts, vos couleurs et votre appétit de vivre me réconcilient avec l’amour universel. À l’instar de Noé, de saint François d’Assise, de Brigitte Bardot et du dalaï-lama lui-même, je vous suis très obligé.

Les animaux font toujours de belles photos, même le chevreuil que le chasseur s’apprête à tirer. C’est que la candeur, sous toutes ses formes, est toujours photogénique.


dimanche 9 octobre 2011

La folle portait des chats vivants en guise de boucles d'oreille

La monomane de l'envie, 1822
Théodore Géricault (1791-1824)
Je suis revenu du dépanneur avec mes six Heineken, un paquet de Gauloises blondes et cette drôle de phrase : « La folle portait des chats vivants en guise de boucles d’oreille. » J’ai pensé : « Encore heureux, la folle, qu’elle n’ait pas eu l’idée de porter des autruches, à la place, elle en serait bien capable! Allez savoir ce qui se passe dans la tête d’un fou! »

Il fallait voir les pauvres bêtes se débattant pour échapper à leur martyre. Et elle, la pauvre folle, que les gens du quartier surnomment affectueusement « Madame Céline », marchait la tête haute, comme si de rien n’était, se vantant d’être la seule à savoir le nom du prochain enfant de Celine (sic) et René : « Noé, si c’est un garçon, qu’elle disait, Néo, si c’est une fille. »

Je suis sur le point de lui demander : « Et si c’était des jumeaux, ils vont les appeler comment ? Noël et Léon ? Néron et Nérine ? Rino et Rona? »

Moi, je rentre tout sagement à la maison, encore tout secoué par cette vision d’horreur, toute cette misère humaine, pris de remords à l’idée n’avoir même pas pris la peine de lui demander le nom de ses chats.

J’ai sorti mon carnet de chèques et j’ai fait un don à la SPCA.

Bobin écrit la lumière

(Crédit photo: André Lebeau,
Lampions à Barcelone, 2009)
Je lis « Un assassin blanc comme neige », le dernier ouvrage de Christian Bobin et je m’en remets à peine. C’est le genre de livre que je voudrais relire quelques heures avant ma mort, pour me réconcilier avec le ciel, la vie, la mort. Bobin allume toutes les lettres de l’alphabet : il écrit la lumière!

Bobin m’inspire, au sens sacré du terme, au sens mystique : je savoure chaque phrase, chaque mot, chaque lettre, comme si j’étais à deux doigts de la mort et que je ne voulais rien perdre des derniers instants de ma vie. Je pense ici au parfum des lilas, aux yeux des chats, au chant des cigales, aux étés sans fin qui fleurent si bon le melon rose, l’oseille et les petites fraises des champs.

J’aimerais tellement croire, comme Bobin, que la mort n’est rien.

Il m’a suffi d’une phrase pour me réconcilier avec l’écriture, avec la vie, avec la mort : « Les roses sont les preuves soûlantes de l’existence de Dieu. » Cette phrase me brûle. Chaque fois que j’écris le mot « Dieu », je vois ses yeux.

Écrire la lumière, rien de moins. Ça, ou alors le carmel!

Je suis Juliette Binoche


Le Médecin malgré lui, 1666
Molière (1622-1673)
À l’hôpital, je veille un malade. J’aime cette phrase : le complément de phrase suivi d’une virgule, le pronom, le verbe et son complément. Une phrase simple, belle, vraie, comme je les aime. On pourrait croire au début de quelque chose, un chapitre de roman par exemple, un scénario de film peut-être. Je pense au très beau film d'Anthony Minghella, « Le Patient anglais », avec Ralph Fiennes et Juliette Binoche.

Le patient repose, sa respiration est régulière. Tout à l’heure, un infirmier est venu prendre ses signes vitaux en prévision de l’opération.


Curieusement, dans cet hôpital, malgré la morosité des lieux, tout le personnel sourit : médecins, infirmiers, infirmières, préposés aux bénéficiaires et à l’entretien ménager. Le contraire d’une école, d’une salle de classe. On se croirait au théâtre un soir de première!

Le malade s’est endormi, mais je continue à le veiller. Les malades, il faut toujours les veiller, même quand ils dorment; comme les enfants, ils ont toujours peur qu’on les abandonne. Il faut être là, tout simplement, juste au cas où ils se réveilleraient.

La veille est longue et se prolonge jusqu’au soir. Je profite du sommeil du patient pour corriger quelques copies. Cette semaine, j’ai demandé à mes étudiants d’analyser une scène du « Médecin malgré lui » dans laquelle Molière se moque ouvertement des médecins de son temps. Le crayon rouge à la main, j’hésite avant d’attaquer la première copie. Je réalise soudainement l’absurdité de la situation : je suis dans un hôpital en train de lire une analyse littéraire sur « La satire de la médecine au XVIIe siècle  » !

Le malade s’éveille et me sourit tristement. Je pose mon crayon et m’efforce de sourire à mon tour.

Le patient anglais, celui de l’histoire, Ralph Fiennes, c’est mon amoureux. Moi, je suis Juliette Binoche.

samedi 1 octobre 2011

J'écoute Barbara morte

Il était un piano noir...Mémoires
interrompus, 1998
Barbara (1930-1997)
J’écoute Barbara morte, Barbara chanter « Vienne » : Il est minuit ce soir à Vienne, mon amour, il faut que tu viennes… J’écoute Barbara morte chanter : Dis, quand reviendras-tu? J’écoute Barbara morte chanter « La Mort » : Qui est cette femme qui marche dans les rues, où va-t-elle? J’écoute la Mort chanter.

J’écoute Barbara morte chanter, Barbara qui ne reviendra plus.

Il pleut sur Nantes. Le parfum des lilas déchire l’au-delà.

J’écoute Barbara morte et je la vois.