mardi 18 septembre 2012

Ce dimanche idéal où Callas s'époumonait à qui mieux mieux


Opéra de Montréal,
La traviata, 2012-2013
Je ne sais pas ce qui m’a pris, c’est arrivé comme ça sans trop que j’y pense. Une envie irrépressible, incontrôlable, presque une urgence, un besoin impérieux, vital, viscéral, comme si le reste de ma vie en dépendait…
Papillons dans le ventre, démangeaisons gênantes, borborygmes tonitruants, impossible de calmer la rumeur, d’éteindre le feu, de passer outre.
C’est arrivé comme ça, sans s’annoncer, de manière impromptue, comme de la « visite » qu’on n’attend pas, une démangeaison de l’âme, un appel, « un bruit sourd venant d’outre-tombe » comme dit Barbara.
C’était dimanche, c’était hier, cela n’a aucune importance. Et, sans plus tarder, sans réfléchir, j’ai fléchi, j’ai flanché, j’ai succombé à l’appel : CALLAS! « La traviata » (c’était donc cela « ce bruit sourd venant d’outre-tombe »).
J’ai préparé un seau d’eau chaude dans lequel j’ai ajouté quelques gouttes de savon à vaisselle et du vinaigre et j’ai sorti des chiffons doux. En moins d’une heure, j’avais déjà lavé toutes les fenêtres de la maison!
Rien de tel que l’opéra pour nettoyer les vitres! Rien de mieux pour faire chanter le cristal! Laver ses vitres relèverait donc de l’art lyrique? C’est la réflexion que je me faisais, tout en appuyant fort sur le chiffon, en ce dimanche idéal où Callas s’époumonait à qui mieux mieux.
Ne manquait que le champagne.

vendredi 14 septembre 2012

À quand le retour de la fraise espagnole?


 
Pourquoi j’aime Amélie Nothomb? Parce qu’elle est la seule, à ma connaissance, à écrire des phrases impossibles, improbables, impayables, des phrases que personne d’autre qu’elle ne peut écrire, parce que c’est cela, justement, écrire, c’est s’approprier le langage, le réinventer, comme si vous étiez le seul à pouvoir le faire, comme si vous étiez le premier. Nothomb, c’est ça : une langue, un style, une manière bien à elle, et puis ce petit je-ne-sais-quoi de fallacieux dans le propos, sa marque de commerce, qui nous la fait aimer ou détester, c’est selon :
« Le trafic des indulgences a soulagé bien des problèmes digestifs. » (p.28)
« J’ai une passion théologique pour les œufs. » (p.32)
« L’inventeur du champagne rosé a réussi le contraire de la quête des alchimistes : il a transformé l’or en grenadine. » (p.59)
« Je suis pour le retour de la fraise espagnole, il n’y a pas plus seyant. » (p.84)
« Mon ambition était de devenir un œuf. » (p.89)
« Vous ressemblez à une asperge. Vous êtes longue et mince, votre parfum n’en évoque aucun autre, et rien sur terre n’égale l’excellence de votre tête. » (p.106)
« … véritable pyrotechnie d’organdi. » (p.84)
« … apicultrice intergalactique. » (p.166)
Humour belge? Poésie surréaliste? Qui peut se vanter d’en faire autant?
Amélie est à la métaphysique absurde ce que Jean de la Croix est au mysticisme chrétien : la même folie grandiloquente, la même exaltation délirante.
Mythomanie perverse, rodomontade de mauvais goût diront ses détracteurs.
Dans Barbe bleue[1], le dernier opus de madame Nothomb, le génie frôle Amélie. Encore une fois.
À quand le retour de la fraise espagnole?



[1] Amélie NOTHOMB, Barbe bleue, Paris, Albin Michel, 2012.

dimanche 9 septembre 2012

Sniffer de la colle à faux cils


Les funérailles d'Atala, 1808
Anne-Louis Girodet (1767-1824)
Le ciel s’obscurcit, le vent se lève, dans le vague amer des passions mortes dans l’œuf et dans un atermoiement de moi-même qui frôle l’hystérie, j’assiste, impuissant, presque indifférent, à la mort de l’été.
En attendant l’orage, je flirte avec Chateaubriand : « Levez-vous vite, orages désirés… ». J’’entends Baudelaire, la voix rauque, l’œil fou, le sourire malade : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle. » J’attends qu’il pleuve pour savoir si je suis encore capable de pleurer.
Comme une envie soudaine, impérative, inexpliquée et absurde de peler des pommes de terre pour rien avec un perroquet vert sur l’épaule qui me sifflerait à l’oreille une chanson triste d’Alice Robi.
L’envie de faire une sieste de cent ans avec la Belle au bois dormant, de ne plus écrire, jamais, une envie d’allégeance totale au désespoir.
L’envie de dessiner une maison avec une porte et une fenêtre au-dessus, un soleil pâle à droite, et un pendu à l’intérieur.
L’envie de relire à genoux Confessions d’une religieuse de Sœur Emmanuelle, d’acheter un poisson rouge, une roulotte (?), de faire exploser le barbecue, de creuser la terre pour y dénicher des vers, une envie de tintamarre comme de jouer de la casserole en pleine nuit.
Une envie urgente de me confesser à Annie Ernaux, une envie sauvage de romantisme débridé : embrasser à pleine bouche le voisin d’à côté qui me salue tous les matins vers 6 heures, si beau avec sa barbe de trois jours.
Une envie de tricoter des « pattes » de bébé, de faire semblant de lire À la recherche du temps perdu, une envie de prendre le voile, l’envie de faire brûler un poulet par exprès, de renverser de la mélasse sur le tapis blanc de la chambre de ma tante Gertrude, l’envie de relire à la suite tous les romans d’Amélie Nothomb les yeux fermés, l’envie d’aller fleurir la tombe de Gaston Miron, l’envie folle d’un éléphanteau comme animal de compagnie, l’envie d’écouter en boucle « Breathe » de Pink Floyd, comme une envie de me rallier à l’idée que le Québec ne deviendra jamais un pays, l’envie de me faire tatouer un petit bonhomme Pillsbury sur le torse, de crever des pneus au hasard dans la rue, de me « moucher dans les étoiles », de sniffer de la colle à faux cils…
Oui, beaucoup de mal à l’idée qu’il faille déjà enterrer l’été.