jeudi 22 août 2013

Le saumon au lave-vaisselle de Suzanne Lapointe


Œuvres poétiques complètes, 1980
Denis Vanier (1949-2000)
Quand j’ai entendu parler pour la première fois du « Saumon au lave-vaisselle de Suzanne Lapointe », j’ai cru d’abord qu’il s’agissait d’un poème inédit de Denis Vanier. Des amis à qui j’en ai parlé ont refusé de me croire en arguant qu’il s’agissait sans doute d’un canular ou d’une autre de ces fameuses légendes urbaines. Pourtant, cette recette, pour le moins inusitée, il faut bien en convenir, existe bel et bien :  http://www.dailymotion.com/video/x98ul9_cuire-du-saumon-au-lave-vaisselle_fun

Jeannette Bertrand, une autre cuisinière émérite de chez nous, en a étonné plus d’un, et plus d’une, avec son fameux « Jambon au foin ». Un de mes amis, tout aussi original que fine bouche, m’a servi un jour des « Hot-dogs vapeur au fer à repasser » !

Pour ma part, j’ai l’intention d’essayer, un de ces quatre, question de rendre hommage à ces chefs audacieux qui sortent des sentiers battus, une « Poule au riz à la lessiveuse », ou alors un « Veau marengo au déshumidificateur », et peut-être même, pourquoi pas, une « Fondue chinoise au fer à friser » ?

Le saumon au lave-vaisselle de Suzanne Lapointe n’est donc pas un mythe. Pourtant, comme j’aurais aimé que Denis Vanier, qui est à la poésie québécoise ce que Paul Bocuse est à la cuisine française, en soit l’auteur !

mercredi 21 août 2013

Une journée d'été sur un plateau d'argent


Je vais mieux, 2013
David Foenkinos
Cette journée sera mémorable, assurément, sans doute la plus chaude de l’année. On en parlera longtemps, des années, des lustres.

Une journée d’été comme un anniversaire d’enfant en juillet, avec des ballons, des chapeaux pointus, un gâteau immense, des cadeaux.

Et puis cette chaleur, suffocante, et le soleil, dévastateur, et le chant des cigales, strident, continu, à la limite du supportable.

C’est l’été encore une fois, avec sa baguette magique, ses grands airs d’opéra, ses frasques, ses elfes effarés, ses fées en feu, ses cigales enchanteresses : une journée d’été sur un plateau d’argent.

J’ai préparé de la limonade, j’ai acheté du melon d’eau, j’ai mis quelques bières au frais, j’ai sorti ma plus belle nappe, la blanche avec des fleurs : le blanc, c’est si joli avec le vent !

J’ai enlevé ma chemise, mes chaussures. Je vais mieux, beaucoup, moi aussi.

 

Un écureuil, ça goûte quoi?


La pluie et le beau temps, 1955
Jacques Prévert (1900-1977)
Les escargots, les limaces et les écureuils font la pluie et le beau temps dans mon jardin.

Aucune plante ne leur résiste ; pas une feuille qui ne soit mangée, grugée, rongée, percée, trouée ; les fleurs sont cadavériques, littéralement vidées de leur sève, de leurs sucs, exsangues.

J’ai d’abord tenté de les éloigner de manière naturelle, écologique : des coquilles d’œufs broyées, des cheveux de septuagénaire, du poivre de Cayenne, de la bière, du tofu, du Cheez Whiz, du Pepto-Bismol, de l’huile de saint Joseph, mais sans succès.

J’ai pensé ensuite les faire fuir en disposant çà et là, aux endroits les plus stratégiques, des vire-vent, en agitant des crécelles à heures fixes, en faisant tourner des moulins à prières tibétains les soirs de pleine lune ; j’ai cru pouvoir enfin m’en débarrasser pour de bon, les achever, en faisant jouer à tue-tête la trame sonore du film Adieu ma concubine, à six heures le matin…

J’ai acheté de la poudre à gratter, de la poudre de perlimpinpin, de la poudre d’escampette…

Enfin, à bout de ressources, j’ai envisagé des moyens nettement plus drastiques : une solution de vitriol, me disais-je, en mélange avec du vinaigre, du miel, du bicarbonate de soude, de la sauce Mille-Îles et deux ou trois gouttes de mercurochrome pourrait sans doute en venir à bout…

Mon jardin décimé n’est plus qu’un champ de bataille ; c’est à se demander qui de lui ou de moi est le plus dévasté. Pour cette année, en tout cas, c’est terminé : j’abandonne, je rends les armes, j’abdique, et je brandis piteusement le drapeau blanc de la défaite, un drapeau blanc, jaune sale, troué.

Pour m’en remettre, je me dis que La pluie et le beau temps, après tout, c’est aussi le titre d’un livre de Prévert.

Mais au fait, un écureuil, ça goûte quoi ? 


mercredi 14 août 2013

J'écris juillet à rebours


À partir du mois de septembre l’année dernière,
je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme :
qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi.
Annie Ernaux

Passion simple, 1991
Annie Ernaux
L’air est lourd, l’humidité accablante, le temps est à la pluie. Une brise légère agite le rideau de mousseline : on dirait qu’un nuage est entré dans ma chambre pour se faire caresser. J’attends l’orage, j’attends l’amour, languissamment.

La pluie tambourine à ma fenêtre : une vestale en robe blanche qui joue de la harpe; la main de Jupiter caressant la joue glabre de Ganymède. La même musique, le même bruissement d’ailes.

Tout ruisselant et alangui par la chaleur, les bras en croix, j’attends, le regard atone, la tête dans un ailleurs d’images abracadabrantesques, effaçant au fur et à mesure, un à un, les points de suspension qui brouillent ma rêverie…

J’ai disposé çà et là des fraises sur l’oreiller. Tu les mangeras à ton retour.

J’écris juillet à rebours, sa lumière crue, ses orages, ses soubresauts, ses humeurs capricieuses, ses ors et ses encres, ses orgues et ses délices, et son champagne rose « qui mousse de rayons[1] ».

Les orages d’été sont faits pour faire l’amour.



[1] RIMBAUD, Arthur, « Le Dormeur du val », 1870.

mardi 13 août 2013

Je promène une pinte de lait


La laitière, 1658
Johannes Vermeer (1632-1675)
Rue Saint-Hubert, le matin, je reviens du dépanneur. Je croise G*** qui promène son chien. Nous échangeons quelques mots. La chienne, Margot, me fait ses minauderies habituelles. Le quotidien dans son extraordinaire ordinaire; l’été dans sa plus pure expression.
Les cigales stridulent à qui mieux mieux; la journée sera chaude, longue. L’été, par définition, est toujours trop court, toujours. « L’été ne peut qu’avoir été » écrit Annie Ernaux. À la télé, déjà, les réclames assommantes de la rentrée! Je m’ennuie d’avance des lilas de l’an prochain. C’est terrible d’écrire une phrase pareille. L’été est toujours une imposture.
 
Accroupi sur le trottoir, je caresse la chienne qui me lèche amoureusement la main. Moi, je l’aurais appelée Marilyn : trop belle, trop photogénique, trop blonde, trop douce, trop amoureuse. Margot, Marilyn : même blondeur, même douceur, même soleil aveuglant. Chaque fois qu’elle me regarde, je pense à la chèvre de monsieur Seguin.
 
 
Rue Saint-Hubert, le matin, G*** promène son chien. Moi, je promène une pinte de lait.
 
Je n’aurai pas écrit une seule ligne de l’été. Je fredonne « L’été n’aura qu’un jour » de Diane Dufresne.
 
La chienne me regarde m’éloigner, avec ses yeux tristes de Marilyn trop belle. Ce pourrait être le début de quelque chose.
 
Les cigales sonnent la fin de la Grande Récréation.