samedi 8 janvier 2011

Poétique de la vaisselle

J’ai toujours aimé faire mon lit le matin. Cela me donne l’énergie nécessaire pour bien commencer la journée. J’ai appris très tôt; au début, j’accompagnais ma mère quand elle faisait sa tournée matinale dans nos chambres, me contentant de la regarder faire, puis, dès l’âge de 6 ans, j’étais en mesure d’opérer seul. Il y avait dans les gestes de ma mère beaucoup d’application et en même temps une grande douceur lorsque, avec ses mains, elle repliait le couvre-lit sous les oreillers pour faire une belle ligne droite. Il me semble encore l’entendre fredonner. J’enviais sa dextérité et je rêvais du jour où je pourrais faire mon lit avec autant de facilité.

Je ne le disais à personne, mais quand un oncle ou une tante me demandait ce que je comptais faire plus tard, j’avais envie de leur répondre : « Une mère de famille, comme ma mère. » Aussi, pour ne pas mettre mon entourage dans l’embarras, je disais que je voulais devenir cuisinier, ce qui ravissait mon père, ou missionnaire d’Afrique, ce qui ravissait ma grand-mère.

Comme on dit « femme de maison », ou ménagère, je suis donc devenu un « enfant de maison ». J’assistais ma mère dans ses corvées quotidiennes : ménage, lavage, préparation des repas. À mon insu, je m’initiais à la poésie : l’ordre, la rigueur, la patience, la beauté (que je confondais alors avec la propreté) me donnaient l’illusion d’un monde d’harmonie, de paix, de silence et d’amour.

Toute cette poétique du quotidien disparut comme par enchantement dès que je me mis à fréquenter l’école; et à partir du moment où j’appris à écrire, le goût que j’avais pour les travaux ménagers s’amenuisa peu à peu. Je m’intellectualisais!

Aujourd’hui, chaque fois que je fais la vaisselle, je revois ma mère qui fait son lit. Et tout comme on fait la vaisselle ou son lit, je fais aussi des poèmes.

2 commentaires:

  1. Moi, quand j'étais jeune, je ne faisais jamais mon lit. Le dimanche après-midi, quand ma grand-tante Berthe venait prendre le thé et qu'elle demandait si j'avais été sage, ma mère répondait "oui" à cette question, à ma place, mais elle ajoutait toujours que je ne faisais pas mon lit.

    Les années ont passé, mais les dimanches, eux, ont toujours été invariables, à quelques exceptions près. À la fin, ma sagesse n'était plus discutable, alors même quand j'ai eu grandi, tante Berthe, sourire en coin, demandait toujours : "As-tu fait ton lit ce matin?" Et parfois je répondais oui.

    Tante Berthe est décédée de la maladie d'Alzheimer, alors je ne crois pas qu'elle soit partie avec l'idée que je ne faisais pas mon lit tout les matins. Je crois plutôt qu'elle se sera rappelé que j'étais un enfant sage.

    C'est bizarre, je viens de réaliser que je n'ai pas beaucoup changé en près de cinquante ans.

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  2. Moi aussi j'assistais toujours ma grand-mère quand elle faisait les lits. C'était le petit moment agréable après le vers de quick et le grand déjeuner. À chaque fois, du premier coup, tout était parfait, jamais il n'y avait un pli. Moi qui la suivais, me mettais dans ses jambes pour l'aider, avais peine à déposer les oreillers parce que j'étais trop petite, prenais 20 minutes pour faire fièrement un lit sans plis, presque parfait, quand elle y arrivait en à peine 2 minutes.

    20 ans plus tard, je n'arrive toujours pas à faire les lits à sa façon, à croire que ses femmes avaient un don pour la perfection.

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