mardi 21 juin 2011

Un bouddha de pus, d'émeraudes et d'encens


Beau comme la renccontre fortuite
sur une table de dissection d'une
machine à coudre et d'un parapluie,
1935
Man Ray (1890-1976)
C’est toujours l’image qui me vient en tête quand je pense à Henri Michaux ou à Denis Vanier : celle du martyre consentant, un bouddha extatique, les yeux convulsés par la compassion universelle. Un bouddha de pus, d’émeraudes et d’encens.

Un martyre de la beauté, celle-là même qui faisait dire à Baudelaire: « Le beau est toujours bizarre », cruelle aussi, serais-je tenté d’ajouter, ou alors, « convulsive », selon l’expression de Breton. Car, il faut bien en convenir, la beauté, bizarre ou convulsive, est toujours plus ou moins surréaliste : elle fraie davantage avec la cruauté qu’avec la bienveillance, l’humanisme ou la vertu.

La beauté pure dérange, divise, tue, ce que Lautréamont, à l’instar et à la suite de Baudelaire, a parfaitement résumé dans cette formule aujourd’hui célèbre : « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie! »

C’est elle, la beauté, qui, la nuit, vient mordre les oreilles des enfants désobéissants et leur insuffler de mauvais rêves, des visions cauchemardesques qui leur laisseront au réveil la nette impression qu’ils ont été choisis, « élus » pour ainsi dire, comme Verlaine, pour sauver le monde de sa laideur.

La beauté est indissociable de la peur, c’est sa grande sœur, la mère de toutes les fées Carabosse du monde entier, toutes griffes dehors. La beauté n’est pas le beau, c’est quelque chose de pire, comme de l’arrogance ou du dépit, juste ce qu’il faut d’insolence pour s’élever au-dessus du commun, du vulgaire. Pas de beauté sans cette idée de revanche, de vengeance savamment ourdie dans l'ombre.

Pas de beauté « naturelle » non plus, à l’état brut, pas de beauté sans souffrance; au naturel, la beauté n’est que fadasserie, il lui manquera toujours l'esprit, la pensée, l’humain. La nature, le naturel, n’est pas la beauté; la beauté dans toute son essence et sa pureté, c’est l’homme qui la fait naître.

La beauté, c’est l’homme. L’homme dans toute sa vulnérabilité. C’est la seule religion que j’endosse.


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