samedi 18 juin 2011

Ce qui mijote à feu doux m'apaise

Ma mère à sa cuisinière, 1950
Je suis toujours là à brasser quelque chose : une soupe, une sauce, un ragoût. Comme d’autres brassent des affaires, de l’argent, je mélange des couleurs à des parfums. Ce qui mijote à feu doux m’apaise.

L’espace d’un moment, d’un mouvement, je suis cette grand-mère du néolithique qui brasse dans sa marmite géante, une pagaie en guise de cuiller, un ragoût de mammouth accompagné de jeunes pousses de fougères et aromatisé à l’écorce de ginkos.

Je grogne d’aise, à deux mains au-dessus de la marmite odorante, les yeux rougis par la fumée, la salive aux commissures des lèvres, le geste sûr, je pagaie allègrement, la faim au ventre, les cheveux en bataille, fière, dans mes haillons de peaux de bêtes sauvages.

Puis, ce bruit étrange, un bruissement d’abord, à peine perceptible, venu du fond de mes entrailles, qui monte ensuite en cascade, comme du vent remontant de mes cuisses, doux chatouillis du ventre, giclée de pur bonheur, qui ressemble à un cri, mais qui n’en est pas un, ce bouillonnement de l’intérieur qui déforme tout mon faciès, chant de gorge nouveau, prière, incantation?

Une odeur de soufre se mêle à celle du fumet qui s’échappe de la marmite. Tout le clan réuni autour du feu attend sa pitance. Je jette aux grands mâles les plus gros morceaux, encore tout fumants.

L’espace d’un moment, d’un mouvement, je suis cette vieille femme en hardes qui brasse on ne sait trop quoi, une soupe, une sauce, un ragoût, cette femme intemporelle, sans âge, qui sourit, qui sourit depuis la nuit des temps, le cœur à l’ouvrage, le chant aux lèvres.


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