dimanche 6 janvier 2013

Le dit du dire


Edward aux mains d'argent, 1990
Tim Burton
J’en arrive à ce point critique de l’écriture où je ne peux plus écrire ce que je veux, ce sont les mots qui m’écrivent. Je n’écris plus que de l’écriture, je suis pour ainsi dire dans « le dit du dire », avant le désir, avant l’intention. C’est une expérience troublante, dangereuse à la limite, mallarméenne pourrait-on dire.
J’en arrive à ce point limite de l’écriture où les mots prennent en charge le processus même d’écriture : ils n’en font qu‘à leur tête, pensent à ma place, vont où ils veulent, se croient tout permis. Ils ont désormais préséance sur tout. Je suis prisonnier d’une page qui a tout d’une cage. Je suis au cœur d’une forêt enchantée qui se referme lentement sur moi.
Il y avait ce couteau sur le comptoir de cuisine, des carottes sur une planche à découper. Je m’appliquais de mon mieux à couper les légumes en fines rondelles. J’aime bien le son que fait une lame d’acier sur du bois dur, ce bruit sec et sourd, ce tranchant. Puis, tout à coup, sans crier gare, presque insidieusement, les mots sont apparus.
Il en arrivait de partout, ça tombait du plafond en cascade, une vraie manne. Je tentais tant bien que mal de les écarter du revers de mon couteau en prenant garde de ne pas les blesser, mais il y en avait trop. J’étais cerclé de toute part. Et puis l’inévitable, l’irréparable se produisit : sur la planche à découper, le sang d’un mot qui rendait les derniers soupirs, un sang opaque, épais, orange.
J’en arrive à ce point extrême de l’écriture où je puis désormais entendre pleurer un mot et même deviner la couleur de son sang.

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