lundi 26 septembre 2011

Les majuscules

Christ aux genoux verts
Pampelune, Espagne, 2006
Crédit photo: André Lebeau
Vous êtes sur le point de vous lever lorsque vous réalisez soudainement que vous êtes MORT! Vous vous dites, bêtement : « Mon Dieu! ». Mais l’expression semble alors revêtir à vos yeux un sens nouveau. Ces mots vous BRÛLENT. C’était donc cela l’ESPRIT, ce FEU permanent, cette LUMIÈRE qui ne s’éteint jamais, pas même à la mort.

Vous promenez votre regard aux alentours, surpris du DÉSORDRE qui règne un peu partout dans la maison : le lit défait, les bouteilles de bière qui encombrent le comptoir de cuisine, la litière du chat qui déborde. La laideur des tentures du salon vous révulse. Votre haleine du matin vous donne des haut-le-cœur.

Vous vous dites : « Ce n’est pas possible! Je ne peux pas être MORT! J’aurais aimé au moins me brosser les dents, m’habiller, faire QUELQUE CHOSE qui officialiserait en quelque sorte l’ÉVÈNEMENT » Mais non, RIEN. Vous êtes là, mal rasé, le visage bouffi, l’air hagard, étonné de trouver dans votre salle de bains deux énormes poissons rouges qui somnolent dans une eau verdâtre et nauséeuse. C’est le jour de votre propre mort et vous n’êtes même pas PRÉSENTABLE!

Vous pensez à ceux qui liquideront vos affaires, à leur air ahuri lorsqu’ils découvriront, sur la dernière tablette de votre garde-robe, une paire de souliers rouges à talons hauts, votre attirail de harnais de cuir, vos godemichés fluo, cette photo de vous en Salomé dans la danse des sept voiles…

Vous pensez à votre pauvre mère, et les mots qui vous traversent l’esprit s’écrivent en lettres majuscules : « AU SECOURS »,« JE T’AIME! », « PARDONNE-MOI! » Vous prenez conscience pour la PREMIÈRE FOIS DE VOTRE VIE de l’importance des MAJUSCULES et des POINTS D’EXCLAMATION.

Vous êtes à nouveau dans la chambre, étendu sur le lit, vous contemplez votre corps inerte avec attendrissement, vous êtes sur le point de vous ressouvenir de votre prénom, mais déjà les lettres qui pourraient vous faire croire que vous avez bel et bien eu une EXISTENCE RÉELLE s’effacent les unes après les autres.

Vous êtes aveuglé par votre propre LUMIÈRE.


 

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