mardi 2 août 2011

Les mouches à vinaigre

La Métamorphose, 1915
Franz Kafka (1883-1924)
À la campagne, chez mon oncle Hector, on était assaillis par les mouches, autant à l’extérieur qu’à l’intérieur, dans la maison aussi bien qu’à l’étable : des régiments entiers, « de noirs bataillons » de grosses et grasses mouches velues, pattues, ventrues, à qui on livrait une bataille perdue d’avance. Mon oncle, lui, ne semblait pas importuné par leur incessant bourdonnement et leur acharnement infatigable, démentiel, démoniaque.

Chaque fois que nous lui rendions visite, le dimanche, nous le retrouvions à sa table, terminant son repas composé essentiellement de tomates en conserve qu’il accompagnait de deux épaisses tranches de pain beurrées et d’une tasse de thé noir. Je ne me souviens pas l’avoir jamais vu manger autre chose, sinon peut-être un ou deux œufs dans le vinaigre qu’il saupoudrait généreusement de sel avant de les avaler tout rond.

J’ai toujours détesté tout ce qui macère en pot dans l’huile, dans le vinaigre ou dans le sel : cela me rappelle trop les organes et les embryons de centaines d’animaux et de bestioles sacrifiés au nom de la science et que l’on conserve dans du formol dans des laboratoires malodorants. Mais les œufs au vinaigre de mon oncle Hector me révulsaient encore davantage, car dans le pot qui devait en contenir pas moins d’une douzaine, on trouvait bien cinq ou six belles mouches parfaitement conservées! Mon oncle se contentait de les repousser du revers de la cuiller chaque fois qu’il plongeait sa grosse main velue dans le bocal à malice.

Qui a osé écrire qu’on n’attirait pas les mouches avec du vinaigre, qui?

Aujourd’hui, chaque fois que je relis « La Métamorphose » de Kafka, j’ai une bonne pensée pour mon oncle Hector.


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