mardi 7 février 2012

Le spasme de givre

Nelligan n'était pas fou, 1986
Bernard Courteau
Ce pourrait être une forme de désespoir, quelque chose comme un spasme de l’âme contre lequel vous ne pouvez rien, une secousse de tout votre être aussi violente que spontanée qui fait que vous regardez le monde comme vous ne l’avez jamais vu auparavant, comme si vous le voyiez pour la dernière fois, ce monde qui vous est tout à coup totalement étranger. Vous réalisez pour la première fois que le désespoir est une forme de poésie. Et ce spasme, vous décidez de le traduire en poème.

Il neige beaucoup ce soir-là. Et plus il neige, plus vous vous enlisez dans le désespoir, dans ce romantisme noir qui hante vos nuits depuis que vous avez découvert Rodenbach, Verlaine, Baudelaire, ces poètes qui vous ressemblent comme un frère.

Le cœur noir, vous étouffez; vous courez à la fenêtre qui donne sur un grand jardin public. Comme un enfant qui s’ennuie, vous vous amusez à faire fondre le givre qui recouvre la surface du verre, d’abord avec votre doigt, puis avec votre haleine. Vous esquissez maladroitement un cœur, un cœur noir, un cœur de glace. Vous gravez dans le givre ce mal de vivre en un long spasme, un spasme de givre qui vous délivre enfin. Et vous pleurez longtemps, le front à la fenêtre, jusqu’à ne plus sentir votre douleur, jusqu’à ce que votre mal de vivre et le givre ne fassent plus qu’un, et que disparaissent, un à un, les mots que vous aviez gravés dans la glace :

« Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j'ai, que j'ai! »

Vous décidez que vous n’écrirez plus désormais que des poèmes transparents.


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