mercredi 2 mars 2011

Il faut toujours ouvrir la porte aux phrases

Le facteur sonne toujours deux fois, 1946
Tay Garnett (1894-1977)
« Tout empêche un écrivain d’écrire — mais écrire c’est passer outre à l’empêchement d’écrire » note avec justesse Christian Bobin dans « Un désordre de pétales rouges ». Car l’écriture n’attend pas, elle survient toujours de manière inopinée, arrive sans s’annoncer, s’impose. Il faut la prendre comme elle est, l’accueillir, la cueillir.

Ne pas écrire une phrase qui vient frapper à votre porte, cette pression subite aux tempes, lancinante, à vous rendre fou (ce que Beethoven a si bien traduit en musique), ce serait comme refuser « un désordre de pétales rouges » que l’on vous tend avec tendresse.

L’écriture n’a rien à voir avec la parole, sa sœur jumelle, son éternelle rivale : trop bavarde, trop frivole, trop superficielle. Parler, c’est, une fois sur deux, pérorer. Écrire, c’est, au propre comme au figuré, réfléchir.

De tout temps, on a attribué à la parole un pouvoir incantatoire : parler, c’est faire apparaître les choses, c’est donner une voix, une âme, à tout ce qui en est dépourvu, c’est animer le monde, le nommer pour qu’il existe, pour que j’existe. Écrire exige davantage. S’il est juste de dire que la parole est une incantation, il faut plutôt voir dans l’écriture, qui est d’abord réflexion, une décantation.

L’écriture n’attend pas, jamais ; contrairement au facteur, elle ne sonne jamais deux fois.

Il faut toujours ouvrir la porte aux phrases, deux fois même plutôt qu’une.


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