mardi 13 novembre 2012

La lettre


Je vous aime, 1999
Irène Frain
« C'est Vénus tout entière à sa proie attachée. »
Racine, Phèdre (I, 3, v. 306)
Un jour j’ai reçu une lettre, une lettre d’amour. Je n’en avais jamais reçu de pareille. L’écriture était soignée, le ton était celui de l’aveu et le destinateur s’y livrait corps et âme. Toute ma vie j’avais attendu cette lettre, pourtant, j’étais incapable de me résoudre à y répondre. J’ai rangé la lettre quelque part et j’ai fini par l’oublier.

Puis un jour, par hasard, je l’ai retrouvée, la lettre d’amour fou, la lettre trop belle pour ne pas être sincère, la lettre au « vous » qui ressemblait à un billet doux.

La lettre parlait de ma voix, de mes mains, de mon regard et de mon sourire à demi. Si j’en divulguais aujourd’hui le contenu, j’aurais l’impression de profaner l’amour. Une lettre comme on en écrivait au XVIIe siècle, une lettre que l’on porte à son cœur en levant les yeux au ciel, une lettre que l’on relit cent fois!

J’admirais l’audace et la témérité du signataire qui me confessait ainsi sans pudeur son amour désespéré et qui risquait le tout pour le tout, m’écrivait-il, pour se libérer de cet amour impossible, condamné avant même que de naître.

Un jour, il y a longtemps déjà, j’ai reçu une lettre, une lettre demeurée sans réponse. Un jeune homme s’y livrait corps et âme, au risque, précisait-il, de ne plus être en mesure d'affronter mon regard.

J’ai connu ce bonheur, j’ai eu cette chance, et ce malheur aussi. J’ai dû me résigner à oublier que je n’avais jamais donné suite à cette lettre.

J’étais alors un jeune professeur et j’avais décidé, cette année-là, de faire lire à mes élèves Phèdre de Racine.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire