mardi 12 juin 2012

On fait des romans avec presque rien


Mrs Dalloway, 1925
Virginia Woolf (1882-1941)
« Mrs Dalloway dit qu’elle se chargerait d’acheter les fleurs[1]. » Tout est là, tout est dit : acheter des fleurs, voilà.
On fait des romans avec presque rien, c’est comme ça, peut-être pour se donner l’illusion que la vie, sa vie, vaut la peine d’être vécue, ou pour chasser l’ennui, tout simplement. Dans la vie, comme dans les romans, il faut des fleurs, beaucoup.

Chacun vient au monde avec une phrase, sa phrase, une phrase à soi, et nous ne disposons pas assez de toute une vie pour pouvoir l’écrire, cette phrase, celle qui pourrait nous faire croire que notre vie n’aura pas été vaine, cette même phrase qui, à notre mort, donnera tout son sens à notre existence.

« Mrs Dalloway dit qu’elle se chargerait d’acheter les fleurs. » C’est avec des phrases qu’on fait des romans. Le drame de Virginia Woolf est peut-être d’avoir trop aimé les fleurs, et les phrases qui viennent avec. On ne peut pas ne pas aimer les fleurs et prétendre aimer la vie.On peut aussi mourir à cause des fleurs.

Il faut beaucoup aimer pour pouvoir écrire des romans. Comme Mrs Dalloway. Ou comme Virginia Woolf, qui aimait trop les fleurs, et les phrases.

Chaque fois que j’achète des fleurs, Mrs Dalloway me donne le bras.




[1]Virginia WOOLF, Mrs Dalloway, 1925: « Mrs Dalloway said she would buy the flowers herself. »

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