« La visite », Salon de famille du roi Louis-Philippe Le Grand Trianon, Versailles (photo : André Lebeau) |
Mon agent immobilier est une femme charmante à qui je peux me confier sans retenue. Assuré de sa discrétion, j’ai en elle une telle confiance que je puis lui parler sans gêne de sujets que j’oserais à peine aborder avec un psychanalyste. De mon obsession pour les portes fermées, par exemple.
« Je n’aime que les portes fermées, vous comprenez, c’est plus fort que moi. Je ne puis résister à l’envie de fermer une porte ouverte, ou pire, seulement entrouverte. “Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée”, comme dit le proverbe. Pour moi, une porte n’existe, ne m’intéresse, dirais-je, que dans la mesure où je peux la fermer. Une porte ouverte, non, je ne peux pas, ça m’attriste trop. Pire encore : je suis incapable de m’endormir si je ne me suis pas d’abord assuré d’avoir bien fermé les portes de chaque pièce de la maison. Je vis en vase clos, en permanence, et ne dors bien que dans une chambre close. Je ne respire bien que dans une maison close, vous voyez? »
Mon agent, tout yeux tout oreilles, qui m’écoute sans jamais me juger, sait toujours trouver les mots justes pour me rassurer : « Ne vous inquiétez pas. Je finirai bien par dénicher la maison de vos rêves, la maison aux mille portes qui fera votre bonheur. »
Je crois que mon agent immobilier est un agent double : c’est un agent immobilier déguisé en psychanalyste.
« J’ai fermé plus de portes dans ma vie que j’ai pu en ouvrir, vous comprenez?
— Oui, bien sûr. Et avec les fenêtres, c’est comment? demande-t-elle. »
Chaque fois qu’ensemble nous visitons une maison, en y entrant aussi bien qu’en y resssortant, elle n’oublie jamais de se retourner et de me sourire quand je referme la porte derrière elle. Si j’allais chez elle, je ne serais pas surpris qu’elle m’invite à m’allonger sur un récamier de style Empire, pour que nous puissions poursuivre nos entretiens privés, tout en sirotant des liqueurs fines.
Les agents immobiliers sont tout le contraire des agents d’assurance : on reconnaît les premiers à leur sourire; on repère les seconds à l’ennui qu’ils transportent dans leur mallette.
Mon agent immobilier est un agent de joie.
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