L'art presque perdu de ne rien faire, 2011
Dany Laferrière |
J’ai le goût de ne rien faire, et, comme c’est souvent le cas
chez moi lorsque je ne fais rien ou quand je n’ai plus rien à faire, j’écris.
Écrire me donne le goût de ne rien faire encore plus, de procrastiner à longueur
et à langueur de jour dans la poésie, cette béatitude, dans cet état de grâce qui
nous fait croire, parfois, que l’on a du génie.
Le goût de ne rien faire, parfaitement, comme ceux qui lisent
du matin au soir des livres trop volumineux qu’ils n’achèveront probablement
jamais; ne rien faire, rien, comme ceux qui boivent pour s’oublier, pour
oublier, ou pour oublier qu’ils existent, comme ceux qui font des puzzles ou
des mots croisés toute la journée en buvant du café froid et qui ne font jamais
leur lit avant cinq heures de l’après-midi.
J’ai le goût de ne rien faire, le goût d’enfiler des
macaronis coupés sur un fil pour en faire des colliers, le goût de jouer aux
poches avec mon père au chalet de ma grand-mère, par un dimanche ensoleillé,
chaud et humide, tout en écoutant s’égosiller à perdre haleine les
chardonnerets tellement intenses dans leur petite robe soleil; le goût de
construire une cabane d’oiseaux en bâtons de Popsicle,
qu’aucun oiseau, je sais, jamais, ne visitera; le goût de ne rien faire, de
laver un « char » choisi au hasard dans la rue, pour le plaisir de
jouer dans l’eau, le goût de me faire tremper les pieds dans de l’eau tiède et
salée, jusqu’à ce que je m’endorme, ce goût-là, « que j’ai, que j’ai »,
de me rafraîchir.
Ne rien faire. M’acheter une petite souris blanche — que
j’appellerais justement Blanche —, et la regarder s’étourdir dans sa roue, la
folle, courir après quelque chimère de souris (peut-on vraiment savoir ce qui
se passe dans le cerveau d’une souris?), jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’extase
mystique, jusqu’à sa complète dissolution dans le non-être, dans le nirvana blanc
des souris blanches à pattes roses.
Ne rien faire, ou alors faire du vélo tout nu (ou en jupe)
pour mieux sentir la caresse du vent sur mes cuisses, ou tirer la chasse d’eau
cinq fois de suite pour rien, pour le plaisir tout simple d’entendre l’eau
couler, le goût de rester assis jusqu’à ce que je sente mes ongles s’allonger,
le goût de rien, de dire aux gens ce qu’ils veulent bien entendre, le goût d’écouter
Chopin en regardant valser mes fougères dans la lumière et le vent. Tout cela, en
vrac, en ce premier jour de canicule.
Le goût d’écrire des phrases à la syntaxe impossible, des
phrases qui ne tiennent pas la rampe, des phrases à quatre pattes à dormir
debout, le goût de peindre un « Carré blanc sur fond blanc » sur une
toile de 5 m X 7 m, le goût de fixer les points noirs d’une
coccinelle jusqu’à l’éblouissement, jusqu’à la révélation, jusqu’à ce que je
lévite. Oui.
Ne rien faire, comme manger des hosties trempées dans du vin
de messe, en sapant (ce goût-là, absurde et irrationnel), et lire un poème
de Denis Vanier choisi au hasard.
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